Un flop monumental
Bon, je suis surprise que personne ne l’ait fait avant moi,
mais je pense que c’est une discussion qui doit sortir des corridors et doit
devenir une discussion importante du futur mouvement « Printemps2015 »,
si on ne veut pas que celui-ci se résolve de la même manière que notre journée
d’action nationale ; comme un flop monumental. Il y avait une journée de grève
aujourd’hui en lien avec la Journée d’action nationale. Deux actions de
perturbations étaient appelées ce matin, une autre à 15h et une manifestation
ce soir, qui n’a pas encore eu lieu. De ce que j’en sais, les trois actions de
la journée n’ont pas pu atteindre leurs objectifs et ont été la cible d’une
répression féroce, allant même jusqu’à l’entrée de la police dans l’UQAM. J’ai
eu envie d’écrire ce texte, parce que les problèmes auxquels on a fait face
aujourd’hui sont exemplaires de problématiques qui se répètent depuis plusieurs
mois.
L’idée de ce texte n’est pas de définir le fait que cette
journée ait été un flop ou non, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de débats
là-dessus. La question serait plutôt; n’est-il pas non-stratégique de le
présenter comme un flop? Démobilisateur? Je pense qu’au contraire, le fait de
tenir des actions de ce genre qui contribue à la ‘démobilisation’ d’un
mouvement, et c’est pourquoi les problèmes organisationnels auxquels nous
sommes confrontés doivent être attaqués de plein fouet. Qu’est-ce qui s’est
passé aujourd’hui (et depuis plusieurs mois, oserais-je m’avancer)?
Je ne viens pas proclamer que j’ai raison et que d’autres
ont tort, que « je sais comment faire » et que d’autres ne le savent
pas encore. Mon objectif est d’attirer l’attention des militantes et militants
sur l’importance de réfléchir sur nos moyens d’action et nos stratégies d’organisation.
Le travail que vous faites, que nous faisons, est trop important pour ne pas y
porter plus d’attention, de care.
Parce que toute action n’est pas bonne en soi. Et je ne
pense pas que le barème d’évaluation de cette action soit son « succès »
ou son « échec ». Les échecs d’aujourd’hui sont selon moi beaucoup
plus de l’ordre de l’organisation de ces actions. Les processus collectifs d’organisation
et de préparation sont essentiels, et probablement aussi importants que le
résultat.
Il n’est pas suffisant de proclamer discursivement que nous
sommes des guerrières et des guerriers, des loups et des louves. La socialisation
capitaliste (ou appelons-la comme on veut) est beaucoup plus profonde que ça.
On devient guerrière et guerrier par
la pratique, par la formation, par le transfert des connaissances des pairs,
dans la matérialité. C’est en s’engageant dans les processus d’organisation
d’actions qu’on devient meilleur.e.s.
Évidemment, après la grève, il y a eu une coupure
générationnelle radicale qui a empêché un certain transfert de connaissances
pratiques. Que ce soit à cause de la criminalisation de centaines de militantes
et militants qui ont dû se retirer de certaines sphères de la lutte, que ce
soit la détresse émotionnelle, la fatigue, les burn-outs, ou tout simplement,
la roue des changements de cohortes, faisant en sorte que les générations
scolaires se renouvellent.
Mais pas seulement, la culture du secret, qui bien qu’essentielle
à plusieurs niveaux, empêche la mise en relation et l’accueil de nouveaux
militants et de nouvelles militantes dans les cercles organisationnels et bloque
le transfert de connaissance. Et voilà, ils et elles doivent réapprendre de la
base et ça prendre encore plusieurs années avant que la roue réapprenne à
tourner (parce qu’elle finira par y arriver d’elle-même tôt ou tard…).
Ce qui nous laisse dans un contexte assez problématique qui
nous donne l’impression que les militants et militantes se reposent sur une
pensée magique à la « 2012 » où on pense qu’une couple de tracts et
un événement Facebook sont suffisants pour organiser une action d’envergure qui
permettra de perturber le capital. On n’a pas de plan B quand y’a juste 100
personnes qui se pointent à notre action qui en prenait 500, on connait mal les
lieux, personne ne sait exactement ce qui se passe… Il y a une grosse
différence entre « y’en a pas de leaders / y’en a pas de pouvoir »
et le partage intentionnel du pouvoir. Comme on apprend à devenir des meilleurs
activistes, on apprend à être des meilleurs stratèges de l’action directe. Je
crois qu’une clé de cette problématique est la fortification des réseaux et l’intentionnalité
dans le partage des tâches d’organisation. Est-ce qu’on s’attend vraiment à ce
qu’un événement Facebook convainque des milliers de personnes « out of the
blue » (sans contexte large de mobilisation sociale, sans grève générale)
de mettre leur sécurité et leur confort à risque pour venir se lancer dans une
action dont illes ne connaissent ni la nature, ni les risques, ni les
conséquences… Ce n’est pas nécessaire que tout le monde connaisse les identités
des organisateurs et organisatrices, mais il y a des échelles entre tout et
rien.
Qu’est-ce qu’on fait quand la peur et la colère nous
tiraille devant des ennemi.e.s qui sont de plus en plus fortes et forts, de
mieux en mieux organisé ? Ben on s’organise davantage et on renforce les liens
et les réseaux des militants et les militantes du mouvement social qu’on essaie
de lancer! On doit se prendre au sérieux, et les prendre eux et elles aussi au
sérieux et mettre plus de care dans
notre organisation collective. Et surtout, on doit comprendre les contextes
historiques et politiques passés, s’en inspirer, apprendre des bons coups et
des erreurs, sinon nous serons condamnés à revoir les mêmes erreurs faciles se
reproduire avec le renouveau des cohortes militantes…
Nous devons organiser des discussions collectives sur les
tactiques et stratégies d’organisation, des tactiques de lutte (la CLAC
organise un atelier semblable le 29 novembre), et de sécurité, que ce soit dans
nos organisations, groupes affinitaires ou autres. Je crois que cette tâche de
formation et d’organisation de formations incombe largement à l’exécutif national
de l’ASSÉ et aux exécutifs des associations étudiantes. C’est le meilleur moyen
selon moi de participer à la création d’un mouvement large et efficace.
J’espère que ce texte saura provoquer le désir de
questionner le contexte actuel et nos pratiques, et saura ramener l’importance
du care et de l’intentionnalité dans
l’organisation d’actions.
Myriam