SUR FACEBOOK ET LA MOBILISATION
Ce texte
de réflexion s’inscrit dans la foulée de nombreux autres qui ont été écrits par
des militant‑e‑s, notamment ceux de Myriam Tardif, Alexandra Pelletier et
Angéline Desaulniers, ainsi que celui co-écrits par Maude Authier-Pigeon, Aude
St‑Martin et Xavier Dandavino (vous m’excuserez si j’ai oublié d’autres
personnes) et partage un certain malaise que d’autres personnes ressentent
également quant à l’état actuel de la mobilisation étudiante contre les
politiques d’austérité.
Les réseaux sociaux sont-ils une simple copie du
réel ? Un espace virtuel neutre et innocent reproduisant à petite échelle les
relations sociales que nous vivons quotidiennement ?
Redoutable question s’il en est une, à laquelle je
n’aurai pas la prétention de fournir une réponse ici. Plutôt, j’aimerais
questionner les rapports entre les réseaux sociaux et les pratiques militantes
au sein du mouvement étudiant.
Qui est là pour nier les possibilités incroyables
de mobilisation qu’offrent Internet et les réseaux sociaux ? On se rappellera
qu’au temps de la grève de 2012, les réseaux sociaux avaient été des outils
puissants de mobilisation. Pensons aux appels pour participer à des
manifestations, au partage d’articles et de nouvelles de la dernière heure, aux
communications immédiates avec des militant-e-s et des organisations à travers
le Québec et même aux memes sur
l’humour de Jean Charest ou les tweets de Martineau, il est indéniable que les
réseaux sociaux ont contribué à forger la grève étudiante et à lui donner son
identité. Quand viendra le moment d’une prochaine grève, qu’elle soit étudiante
ou sociale, soyons certain-e-s que les réseaux sociaux seront appelés à jouer à
nouveau à un rôle importante.
Cependant, il semble que nous n’avons pas pris la
peine de réfléchir dans une perspective militante sur le rôle des réseaux
sociaux dans nos pratiques. Suffit-il d’un évènement Facebook pour inviter la
population à une action de perturbation ? Doit-on présumer que tout le monde
soit scotché sur son écran d’ordinateur ou sur son téléphone intelligent pour
suivre les dernières tendances du syndicalisme de combat 2.0 ? S’il est
indéniable que les réseaux sociaux puissent être de puissants outils de
mobilisation, il me semble toutefois que ces outils sont les plus efficaces
quand il y a une mobilisation effective sur le terrain. On peut faire du
magnifique graphisme, écrire un texte qui appelle à la grève sauvage avec toute
la juste colère et le diffuser en masse sur dans les réseaux sociaux, il reste
que si les gens ne se sentent pas concernées, il est normal qu’elles ne
passeront pas à l’action. À cet effet,
il est dangereux de se concentrer sur les réseaux sociaux quand le contenu qui
y est partagé est publié sur un pied d’égalité avec des gif de chats ou des
compilations des fails du mois.
Il n’est pas sûr que la population soit au courant
des enjeux concernant l’austérité, ni qu’elle possède les moyens de comprendre
comment les politiques néolibérales du gouvernement l’affectent, et encore
moins qu’elles puissent du jour au lendemain développer un discours critique
prêt à la grève sociale. Si on ne veut pas être 100, mais bien 100 000 à hurler
comme des loups et des louves dans une prochaine manifestation, un travail de
terrain doit être fait, et ce travail ne peut se limiter qu’à la sphère des
réseaux sociaux.
Surement, on me taxera d’être de mauvaise foi.
Après tout, ne peut-on pas justement communiquer ces informations sur les
réseaux ? N’est-ce pas un endroit où on peut tenir un débat qui, dans la vraie
vie, aurait été impossible ? Et surtout, les réseaux ne nous permettraient-ils
pas d’éviter certaines lourdeurs inhérentes à tout dialogue, de passer outre la
lenteur des structures, d’aller straight
to the point ? Suffit-il d’avoir les bonnes valeurs et d’investir le
champ du cyberespace pour retrouver des profils tout autant rationnels que nous
et engager un processus révolutionnaire ? Oui ! Sans aucun doute ! N’hésitons
plus alors à retourner devant l’ordinateur et à se jeter dans le débat. La discussion
sera torride, longue, infinie. Chacun aura son opinion à exprimer et un espace
de quelques centaines de caractères pour l’exprimer. Tout le monde est
constamment invité à y participer par d’incessantes notifications qui nous
rappellent que la démocratie directe se passe live dans le cyberespace. Chaque participant-e de la discussion n’a
devant soi que la photo du profil d’autrui : excellente manière de
préjuger des intentions et des opinions d’autrui et de se fermer d’avance au
débat. Et puis, ca débat tellement fort, plus personne ne sait à qui
s’adressait le précédent commentaire. Si une personne se fait attaquer
personnellement ou qu’elle se sente intimidée par l’utilisation d’un langage
oppressant, conséquence inévitable de l’autogestion virtuelle, la seule riposte
qui lui reste est de lâcher prise et de se déconnecter de l’écran – un garant
fort et efficace du respect d’autrui et de la légitimité démocratique. Quant à
l’issue du débat, celle-ci se résume à une virile guerre de « like », et en
arrivant au prochain Congrès, rien n’aura évolué depuis. En d'autres mots, est-ce que
les réseaux sociaux et forum de discussion ont des effets sains sur les débats
en instance ?
Les réseaux sociaux auront réussi à créer
d’improbables militant-e-s ermites de masse. Tous et toutes rivé-e-s à l’écran, les
réseaux sociaux ont pour conséquence de nous désolidariser du monde tout en
nous connectant à celui-ci. Il ne suffit pas d’avoir 400 ami-e-s, d’aimer 50
pages de revendications radicales et de participer à 10 groupes de discussion
quand tout cela ne fait que conforter mes propres positions et m’empêchent de
véritablement dialoguer avec autrui.
Le constat est le suivant : à force
d’investir l’univers des réseaux sociaux, on délaisse celui de la mobilisation
et des structures en place. Quel est le rôle de ces dernières ? Précisément
celui d’assurer la légitimité et la souveraineté absolue de la démocratie
directe. Sans procédures, sans quorum, sans gardien ou gardienne du senti, sans
animateur ou animatrice, sans le travail des comités de travail ou de
l’exécutif, sans l’énergie investie par les comités locaux et les groupes
affinitaires, sans la participation massive des délégations, le Congrès
n’aurait tout simplement pas lieu, et l’ASSÉ n’existerait pas. Pour que ces
structures tiennent et fonctionnent, le travail de mobilisation est essentiel.
Or, il semble y avoir eu un déficit de mobilisation depuis l’automne, et on
utilise les réseaux sociaux comme si le réel s’imposait de lui-même et qu’il
suffisait de lancer l’appel par le biais de la tweetosphère pour qu’il soit
répondu par les masses. Pas étonnant alors qu’on discrédite encore davantage
les structures de l’ASSÉ et qu’on utilise des mediums foireux pour tenir des
critiques envers cette dernière. Je ne défend pas une position du genre « structures ou
barbarie », mais celles-ci restent essentielles si nous voulons apporter des
critiques qui améliorent le travail de l’ASSÉ : autant elles donnent la
légitimité à la critique en ouvrant un espace qu’on peut investir d’un discours
rigoureux et profond qu’elles garantissent la légitimité politique des
discussions et permettent des échanges inclusifs et respectueux.
La tendance doit être renversée. Il faut
réinvestir nos énergies à construire des discours rigoureux, inspirants et
percutants. Il faut sortir de nos zones de confort et aller de nous-mêmes
rencontrer la population. Il faut s’assurer que notre message soit bien
vulgarisé, que nous donnons aux gens les moyens de reprendre notre discours et
de l’adapter à leur réalité afin que celles-ci puissent à leur tour mobiliser
leur milieu. Il faut aussi réinvestir nos instances, comme le Conseil central
qui est en manque criant d’amour ces temps-ci, et reprendre l’habitude d’écrire
des textes de réflexion pour les envoyer sur ASSÉ-Support. Il ne faut pas avoir peur d’amener des critiques constructives et importantes au sein des instances, et il ne faut pas non plus avoir peur d’y répondre. Il faut finalement
prendre le temps de quitter nos campus et rencontrer d’autres membres, explorer
les réalités locales et les spécificités de chaque membre de l’ASSÉ, des
différences que les réseaux sociaux ont bien trop tendance à niveler et à faire
disparaître.
Les réseaux sociaux peuvent jouer à cet effet un
rôle crucial avec des répercussions positives insoupçonnées. Mais s’il est vrai
qu’un certain momentum semble se dessiner vers le printemps prochain et qu’il
serait bête de le manquer, s’il est vrai que les faits hurlent, de grâce, ça ne justifie pas d’investir autant d’énergies et de passion sur les internets !