À paraître dans l'ultimatum expresse de demain (vers 11h-12h).

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L’offre gouvernementale du 5 mai


Un écran de fumée


Céline Hequet, étudiante en sociologie

Arnaud Theurillat-Cloutier, étudiant en philosophie


            Samedi le 5 mai dernier, à 20h exactement, le gouvernement a dressé un écran de fumée devant les étudiants et étudiantes, alors que l’anti-émeute de la Sûreté du Québec avait déjà dressé un autre mur de gaz à Victoriaville. Contrairement à ce qu’on nous laisse croire, cette solution de « sortie de crise » n’est pas une entente « gagnant-gagnant ». Malgré l’urgence, les grévistes doivent rester lucides : la crise n’a pas encore trouvé de sortie honorable.

            Le gouvernement nous propose de suspendre 125 $ des frais afférents[i] pour la session d’automne 2012, ce qui compenserait de façon temporaire la première hausse des droits de scolarité. Ce répit permettrait à un comité d’évaluer si certaines dépenses « inutiles » de nos universités ne pourraient pas être économisées afin de réduire, à long terme, lesdits frais afférents. Dans le cas contraire, si on ne trouvait rien à retrancher, la facture étudiante continuerait d’augmenter de 1778 $ sur sept ans, comme prévu dans la dernière « offre ». Le gouvernement n’aurait donc plus à évaluer les besoins des universités pour justifier sa hausse. Le fardeau de la preuve serait remis entre nos mains, nous qui arguons qu’il n’y a pas de sous-financement. Ce serait donc à nous de prouver que l’argent actuellement investi est suffisant, mais n’est simplement pas dépensé au bon endroit selon la mission première de l’université, c’est-à-dire l’enseignement et la recherche fondamentale.

            Cette preuve, toutefois, nous l’avons déjà faite dans l’espace publique et à la table de négociations. Rappelons que la hausse des droits de scolarité serait tout de même maintenue, et ce, pour des raisons politiques, comme l’a avoué le négociateur du gouvernement, Pierre Pilote, lors de la première ronde de négociations. Ainsi, dans le meilleur des cas, nous ne pourrions freiner l’augmentation de la facture étudiante que de quelques centaines de dollars, selon les frais afférents demandés dans les différentes institutions[ii]. Bref, ceci n’est pas une proposition de gel, ni même de moratoire sur la hausse des frais. Il s'agit d'une proposition qui concerne strictement les frais afférents et mènerait, au mieux, à leur abolition.

            Cependant, cette abolition semble peu probable. En effet, sur ledit comité dont la mission managériale est « d’évaluer les hypothèses d’utilisation optimales des ressources financières des universités » siégeraient une majorité de… gestionnaires[iii]. Les huit membres d’associations étudiantes et d’organisations syndicales diront : « Faisons moins de publicité » et les dix gestionnaires répondront : « Nos universités doivent demeurer compétitives ». Nous dirons : « Faisons moins de campus satellites »; ils et elles répondront : « Nos universités doivent demeurer compétitives ». « Moins d’argent pour les cadres! »; « Compétitives! » et ainsi de suite pendant huit mois. Pourquoi « compétitives »?, pourrait-on se demander. Mais peu importe la réponse, l’issue des votes sera à la faveur des gestionnaires.

            Nous sommes en droit de demander pourquoi siègent sur ce comité d’autres gens que les étudiants, étudiantes, professeur-e-s, chargé-e-s de cours et personnel de soutien, ceux-là même qui font vivre nos universités au jour le jour. On cherche à nous faire croire qu’il s’agit d’une difficulté technique qui nécessite de faire appel à des « spécialistes » pour être résolue. Pourtant, ce débat n’en est pas un de chiffres; rien ne sert d’éplucher les comptes ensemble. Les gestionnaires ne partagent pas nos valeurs; nous n’avons pas la même vision de société. À titre d’exemple, l’investissement dans la recherche universitaire commercialisable n’est pas une « mauvaise dépense » au sens comptable du terme, mais bien un « problème » au sens politique.

            Ce que le gouvernement nous demande, en fait, c’est de reporter à plus tard les négociations et surtout, de renoncer à notre rapport de force, autant dans la rue qu’à la table de discussions. Sans grève et sans majorité au comité, nous serons incapables de faire passer la vision de l’université promue par la CLASSE. En acceptant cette « entente », nous ne ferions que décaler de quelques mois une hausse forcée de la facture étudiante.

            Qui plus est, par cette pseudo-consultation, Line Beauchamp vise à justifier chaque dollar arraché de nos poches par une dépense « indispensable ». Elle perpétue ainsi le modèle clientéliste auquel elle tente de nous convertir : qualité garantie ou argent remis ! Siéger à un tel comité reviendrait ainsi à sanctionner le principe d’utilisateur-payeur : l’utilisation de chaque dollar de la facture étudiante serait approuvée par la communauté étudiante elle-même en tant que clientèle à satisfaire. Or, une question est de savoir si l’argent va au bon endroit; celle-là, nous l’avons déjà posée. Une autre consiste à savoir qui doit payer pour ces dépenses justifiées. C’est précisément la question évacuée par ce comité provisoire, car la « juste part » des étudiants et étudiantes est, quant à elle, tenue pour acquise.

            Dans nos assemblées générales, cette semaine, refusons de jouer le dindon de la farce. Maintenons la ligne dure pour les quelques jours qui restent. Les cégeps menacent d’annuler la session : le gouvernement à le couteau à la gorge.

            Poursuivons la grève, continuons la perturbation, accentuons le rapport de force pour une victoire totale et immédiate, ce printemps !

 



[i] Les frais afférents ou frais institutionnels obligatoires (FIO) sont composés, selon les établissements, de frais d’inscription, d’administration, pour la vie étudiante, technologiques, etc.

[ii] Moyenne des frais institutionnels obligatoires (FIO, aussi appelés frais afférents) par étudiant et étudiante en 2010-2011 : 702,42 $ par année. Source : http://1625canepassepas.ca/la-hausse/les-frais-institutionnels-obligatoires/

[iii] Six recteurs ou rectrices nommé-e-s par la Conférence des recteurs et principaux d’Universités du Québec (CRÉPUQ), deux hommes ou femmes d’affaires nommé-e-s par la ministre, un ou une cadre des cégeps nommé-e par la ministre, un ou une membre du ministère de l’éducation.


Arnaud Theurillat-Cloutier