Bonjour à tous et toutes

Le comité légal s'est penché sur la question de l'encadrement légal du droit de la grève. La nouvelle n'a pas fait beaucoup d'éclats, mais il y a un mois environ la FECQ a mandaté la clinique juridique JURIPOP de se pencher sur la question du «droit de grève étudiant»:

http://fecq.org/La-FECQ-mandate-la-Clinique
http://www.newswire.ca/en/story/1068725/la-fecq-mandate-la-clinique-juridique-juripop-afin-qu-elle-se-penche-sur-la-question-du-droit-de-greve-etudiant
http://journalmetro.com/dossiers/conflit-etudiant/187885/la-fecq-veut-clarifier-le-droit-de-greve-etudiant/

Le texte suivant est basé sur l'atelier que j'ai co-animé avec Émilie Joly au camp de formation d'automne qui portait sur le sujet. C'est une invitation à la réflexion et à la prise de position dans vos assemblées générales. Une version définitive du texte va sortir sur notre section du site web de l'ASSÉ quand on aura le temps de le corriger.

Voir aussi sur le sujet:

http://www.ababord.org/spip.php?article1319 (Texte d'Alexandre Leduc, pour l'encadrement/la reconnaissance du droit de grève)
http://www.ababord.org/spip.php?article1320 (Texte de Jonathan Leblanc, contre l'encadrement du droit de grève)

-Julien Lamalice, collaborateur et ancien membre du comité légal


L’encadrement du droit de grève : une solution technocrate à la judiciarisation du mouvement étudiant

La reconnaissance du droit des associations étudiantes de faire la grève est rapidement devenue un enjeu lors de la grève du printemps dernier. Souvenons-nous que dès le départ, le gouvernement employait le terme «boycott des cours» plutôt que «grève». Ce choix n’est pas innocent : alors que la grève est un droit collectif, le boycott est un droit individuel semblable à celui d’un consommateur qui déciderait de ne plus acheter chez un commerçant. Cette approche est caractéristique de la vision mercantile de l’éducation à laquelle nous nous opposons. En plus de la répression habituelle des policiers, des procureurs et des magistrats, nous avons fait face tout au long du conflit à un nombre sans précédent de recours judiciaires au civil. Une trentaine d’injonctions visant à empêcher les associations étudiantes de bloquer l’accès aux cours ainsi qu’une loi spéciale ont semé la panique dans nos rangs. Les assauts répétés de nos détracteurs ont coûté cher à notre mouvement en termes de temps et d’argent. À première vue, il est tentant d’affirmer que l’encadrement du droit de grève étudiante dans une loi pourrait nous protéger de tels dérapages à l’avenir. Bien que nous sommes en accord avec une reconnaissance du droit de grève au sens large, une mise en garde contre des dérapages possibles d’une éventuelle intervention législative s’impose. Ce document vise à mettre en lumière les enjeux politiques et idéologiques liés à l’encadrement du droit de grève étudiante.

Retour historique

Dès les années 1960, l’UGEQ (Union générale des étudiants du Québec) a vainement réclamé la reconnaissance légale des associations étudiantes ainsi que de leur droit à la grève. Mais c’est l’argumentaire relatif à l’adoption de la Loi 32 (Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants) en 1981 qui est le plus pertinent dans notre cas. Mis de l’avant par le gouvernement du Parti québécois et appuyé par le Rassemblement des associations étudiantes universitaires (RAEU) et la Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec (FAECQ), qui sont en fait les ancêtres des fédérations étudiantes contemporaines. S’y opposait d’un côté l’Association nationale des étudiantes et étudiants du Québec (ANEEQ), plus combative que ses consœurs, ainsi que le Parti libéral du Québec pour des raisons tout à fait différentes. Pourquoi l’ANEEQ s’opposait-elle à la reconnaissance des associations étudiantes à la manière des syndicats de travailleurs? Il faut savoir que l’ANEEQ, comme plus tard le MDE et l’ASSÉ, s’inscrivait dans la tradition du syndicalisme de combat. En ce sens, elle considérait la Loi 32 comme une perte d’autonomie et de rapport de force face au gouvernement. Étant bien au fait de la trajectoire dangereuse qu’avaient prises les grandes centrales syndicales en privilégiant la concertation sur la combativité, l’ANEEQ ne pouvait que s’opposer à ce qui provoquerait sans doute une bureaucratisation de la lutte. Notons aussi qu’à peu près au même moment, les associations étudiantes les plus radicales de l’UQÀM s’opposaient fermement à la nouvelle politique de reconnaissance des associations étudiantes que leur administration tentait d’imposer.

Les arguments en faveur de l’encadrement


Nous devons admettre que plusieurs situations fâcheuses auraient pu être évitées si la grève avait été d’emblée considérée comme légale. Premièrement, suite aux injonctions et à la Loi 12 (loi spéciale), les associations étudiantes et les personnes qui participaient à la grève risquaient de graves pénalités. Les sanctions prévues étaient telles que l’existence même des associations était compromise si jamais elles venaient à être appliquées : les amendes extrêmement lourdes et l’interdiction de percevoir les cotisations étudiantes pendant plusieurs années menaçaient de mettre en faillite les associations osant défier la loi. Ensuite, l’intimidation, la suspension et l’exclusion de militant-e-s était une menace bien réelle pour ceux et celles qui menaient la lutte sur des campus où l’administration était intransigeante. Pensons aux étudiant-e-s qui ont été suspendu-e-s à Concordia, McGill et dans plusieurs cégeps pour avoir participé aux levées de cours. Il est aussi arrivé au cours de conflits passés que les administrations mettent sur pied des comités disciplinaires, véritables tribunaux inquisitoires, menaçant de suspension et de renvoi les militant-e-s dérangeant-e-s. Finalement, certains considèrent comme une perte de temps la nécessité de défendre sans cesse notre droit de faire la grève, par exemple dans les assemblées générales. Cela est d’autant plus vrai là où la culture militante étudiante est moins développée. Si les administrations collégiales et universitaires reconnaissaient le droit de grève peut-être n’aurions-nous pas à faire autant d’efforts pour la rendre effective (pensons au piquetage devant les portes et aux levées de cours). En prenant un peu de recul toutefois, nous pensons que ces arguments ne tiennent pas la route.

La reconnaissance vs. l’encadrement

Nous devons faire la différence entre deux voies que la Chambre des communes pourrait prendre pour reconnaître ou encadrer le droit de grève étudiante. La première possibilité est la reconnaissance au sens large de droit de grève aux associations étudiantes. C’est le cas en France, où le droit de grève est considéré comme un droit constitutionnel depuis 1971. Notons d’abord que dans la conjoncture politique actuelle, il est inimaginable d’amender la Charte canadienne : cela demanderait un vote majoritaire au Parlement du Canada ainsi qu’un vote majoritaire dans le parlement de plus de la moitié des provinces canadiennes. Il nous reste donc la Charte québécoise (la Charte des droits et libertés de la personne), qui a une valeur semi-constitutionnelle. Cela serait sans aucun doute un gain historique, mais il est permis de douter que le législateur opte pour cette solution. Notons que le droit de grève des syndicats de travailleurs et travailleuses ne figure pas clairement dans la Charte québécoise, et malgré le fait que le droit d’association y soit garanti, le gouvernement ne s’est pas privé de voter des lois spéciales forçant le retour au travail par le passé (pensons au cas de la FIQ, alors que Pauline Marois était ministre de la Santé). À notre avis, la Chambre des communes choisirait plutôt de reconnaître le droit à la grève étudiante dans une loi-cadre semblable au Code du travail. Cela pourrait prendre la forme d’une modification de la loi 32 sur l’accréditation des associations étudiantes ou encore d’une toute nouvelle loi. Cette loi définirait des modalités claires d'opérationnalisation de la grève. Elle permettrait par exemple d’assurer la reconnaissance du caractère de représentation complète des membres basé sur le modèle syndical, l’obligation pour les établissements postsecondaires d’annuler les cours qui ont fait l’objet d’un vote de grève ainsi que l’accessibilité permanente des  locaux associatifs. Mais voulons-nous vraiment être assujetti-e-s à une loi semblable au Code du travail?

Aspects négatifs d’une loi-cadre : le cas du Code du travail

Une des fonctions premières du Code du travail, entré en vigueur en 1964, est d’encadrer le droit à la grève et au lock-out. En vertu de celui-ci, les syndiqué-e-s en règle au Québec ne peuvent faire la grève qu’une fois plusieurs mois écoulés suite à l'échéance d'une convention collective. Un point à retenir est celui des objectifs poursuivis par la grève : elles peuvent uniquement porter sur l'enjeu des conditions de travail des employé-e-s d'une unité d'accréditation. Le Code du travail rend donc illégales les grèves de solidarité et les grèves sociales ou politiques; l'aspect social des grèves est évacué. Or la grève d’un certain groupe risque fort bien d’affecter d'autres personnes et d'avoir des impacts qui vont au-delà de leurs propres conditions de travail. L'équivalent pour les étudiants pourrait être qu'une grève ne puisse être déclenchée légalement que si l'objectif de la grève est lié aux conditions d'enseignement, ce qui nous empêcherait de faire des grèves portant sur des revendications plus larges (par exemple afin de dénoncer le Plan Nord ou pour montrer notre solidarité envers un groupe opprimé). Pourtant, à l'origine, les mouvements ouvriers avaient des revendications plus larges que l'augmentation des conditions de travail des employés d'une seule usine ou d'un seul employeur.

Nous pouvons nous s'attendre à ce qu'une loi d'encadrement spécifie des conditions strictes au droit de faire la grève en imposant des modalités entourant le vote, comme c’est le cas dans le Code du travail. Les modalités seraient uniformes pour l'ensemble du Québec : le quorum, le mode de scrutin (vote secret, référendum, voir vote électronique) et le délai de convocation pourraient être imposés par le gouvernement. Cela représenterait une perte d’autonomie pour les associations étudiantes, et minimiserait le moment privilégié que sont les assemblées générales pour débattre. Les arguments soutenant qu’une loi-cadre permettrait aux campus moins mobilisés de faire respecter une grève semblent oublier que les assemblées générales sur ces campus n’atteindraient probablement pas le quorum imposé nécessaire au déclenchement. Parmi les dispositions du Code du travail susceptibles d’être importées dans une loi-cadre, notons que seuls les syndicats accrédités peuvent faire la grève, qu’un avis de 90 jours doit avoir été donné avant le début d’une grève et qu’une déclaration au ministre du travail soit faite dans les 48 heures de la déclaration de grève indiquant le nombre de salarié-e-s concerné-e-s.

De plus, n’oublions pas qu’une loi peut toujours être modifiée par un éventuel gouvernement de droite. Il peut être moins coûteux politiquement de modifier quelques détails d’une loi existante à son avantage que d'imposer un nouveau régime. Du côté des tribunaux, les juges peuvent rendre des jugements qui interprètent la loi. Une mauvaise jurisprudence pourrait transformer des dispositions a priori inoffensives en règles désavantageuses. Ainsi, il est probable que nous consacrions beaucoup de temps et d’argent à défendre notre interprétation de la loi devant les tribunaux. Mais l’adoption d’une loi-cadre ne visait-elle pas justement à contrer ce phénomène?

Perte de combativité et dérive bureaucratique


Il est difficile de prévoir l'effet qu'aurait l'adoption d'une loi-cadre sur la mobilisation étudiante. Il est vrai que si nous n’avions plus à faire de levées de cours ni de piquetage, beaucoup de temps serait libéré. Mais ces activités ne sont-elles pas constructives en elles-mêmes? Après tout, elles font vivre le mouvement et sont une porte d’entrée dans le monde du militantisme. Elles favorisent un apprentissage concret sont une démonstration de notre rapport de force.

L’encadrement législatif du droit de grève s’accompagne de la mise en place de structures reliées à son application. Prenons par exemple la Commission des relations de travail (CRT) qui régit entre-autres les conflits entre les membres d’un syndicat et son exécutif. La contestation d’un vote de grève exige donc pour l’association de recourir au service d’un professionnel. Au lieu de réduire le nombre de contestations judiciaires, l’adoption d’une loi-cadre aurait peut-être un effet inverse. Nous n’avons pas les moyens de régler nos conflits devant les tribunaux, et les perspectives de gains y sont limitées. Pensons au juge en chef de la Cour supérieure du Québec, l’honorable François Rolland, qui s’est mêlé des demandes d’injonctions durant la grève générale illimitée du printemps dernier : tout à coup elles étaient toutes accordées après des audiences expéditives. Le recours accru aux experts (conseillers, avocats, etc.) aura pour effet de centraliser et bureaucratiser notre lutte,  alors que notre tradition militante favorise une plus grande participation de la base. D’ailleurs, accorder davantage de responsabilités aux exécutants et faire travailler les juristes, n’est-ce pas justement dans l’intérêt des groupes qui font la promotion de l’encadrement du droit de grève étudiante en ce moment?

Conclusion

Ce n'est pas parce que la grève étudiante n'est pas encadrée législativement qu'elle est illégale, la situation actuelle représente plutôt un vide juridique. Le non-encadrement législatif du droit de grève n’a pas pour effet de nous interdire de voter collectivement la grève. La légitimité juridique ne correspondant pas nécessairement à la légitimité morale, il est probable qu’au final une loi-cadre ait pour effet d’enlever de la légitimité à nos votes de grève. Étant donné que nous arrivons malgré tout à rendre nos votes de grève effectifs, nous devons questionner l'utilité d'un encadrement législatif. Tout doit-il être encadré? Quel type de militantisme voulons-nous? D’où vient notre légitimité à faire la grève? Une chose est sûre : les travaux entourant l’adoption d’une loi encadrant le droit de grève étudiante doivent être vus avec la plus grande méfiance.