Bonjour à toutes et tous,

Ci-dessous un texte de réflexion faisant un bilan très très partiel et très "à chaud" amenant quelques points liés à la fin de la grève. Je vous invite à le lire et à y apporter des commentaires et critiques. 

La lutte continue, le sommet s'en vient!

S.R

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Alors que la dernière association étudiante en grève au Québec va rentrer en classe lundi 10 septembre, il importe de se questionner sur un bilan partiel et à chaud de la grève. Si l’ambiance semble être partagée entre morosité et joie face à ce que l’on a déjà commencé à qualifier de victoire, il semble pertinent de tenter de brosser une ébauche de portrait des résultats de cette grève. Ce texte ne se veut en aucun cas un bilan exhaustif de la grève. Il n’est pas une réponse à tout et ne prétend aucunement être capable de brosser un portrait complet de la situation. Il s’agit d’une simple contribution à l’analyse et à la réflexion nécessaires devant suivre un tel mouvement. Contribution, venant, qui plus est, d’un acteur interne à ce mouvement depuis ses tous débuts.


Une mobilisation historique


En premier lieu, il est important de souligner le caractère proprement historique de la mobilisation que nous venons de vivre.

Cette grève, en plus d’avoir forcé la démission de ministres et le déclenchement d’élections, a été parmi les plus longues de l’histoire, si ce n’est la plus longue (210 jours pour l’Association étudiante facultaire des Arts de l’UQAM, la première et dernière en grève). Tout au long de notre lutte, nous avons également organisé un nombre gigantesque d’actions de perturbation, de manifestations (par centaines...), etc. dont les plus grandes marches qu’aient vécu le Québec et le Canada. Du jamais vu par rapport aux grandes mobilisations précédentes (dont 2005).

De plus, nous avons également, et malheureusement, une fois de plus constaté les dérives autoritaires de l’État, par notamment : l’arrestation de plus de 3200 camarades (un record, hélas); l’adoption d’une loi spéciale liberticide et autoritaire par le parlement pour tenter de nous casser (encore une fois une première historique contre les étudiante-e-s) et des dépenses de plusieurs dizaines de millions de dollars dans les services de police. Non pas que nous n’attendions pas de réponse violente de la part de l’État, mais cette répression politique et les moyens engagés pour la perpétrer ont été sans aucune commune mesure avec ce à quoi nous aurions raisonnablement pu imaginer.

À titre d’exemple, tout à fait non exhaustif, des répercussions de cette grève, on pourra mentionner :


En tant que tel, il est clair que, malheureusement, peu de mouvements sociaux (à part peut-être les divers groupes instrumentalisés par la CIA à des fins de coups d’État) pourraient se targuer d’avoir accompli de telles choses seulement par leur lutte et leur acharnement sans faille.

Nous avons également réveillé par notre action collective une partie de la population qui percevait le politique avec un fort sentiment de désintérêt et de défiance. Cette sensibilisation à des enjeux plus larges comme la lutte contre le néolibéralisme ou plus largement le capitalisme n’est pas négligeable. Il s’agit d’un premier pas dans une direction incertaine, mais intéressante.

Des manifestations massives aux casseroles dans les quartiers populaires de Montréal aux actions de perturbation dans les régions ou encore les actes de solidarité entre diverses luttes syndicales et sociales (on se souviendra des manifestations avec les travailleuses et travailleurs d’Aveos puis d’Alcan), nous avons ouvert des horizons de solidarité et de luttes sans précédent.

De sa torpeur, une partie du Québec a été arrachée violemment par le mouvement que nous avons connu. C’est, en soi, une chose absolument remarquable. La progression de nos idées de justice sociale, de lutte plus large contre le néolibéralisme a été remarquable. La qualité de notre mobilisation est en soit une fierté que nous pouvons nous attribuer collectivement.

La déroute de la droite est également un objet intéressant. Nous avons mis en échec tous nos adversaires politiques qui ont pourtant utilisé tous les moyens possibles et imaginables pour tenter de nous briser. Une déroute qui ne s’est toutefois pas concrétisée dans le résultat des élections, signe du manque de représentativité d’un des deux mouvements (et bien honnêtement, il nous semble évident que le manque de représentativité est plus à attribuer au parlementarisme qu’à la démocratie directe...).


Il ne faut donc pas marginaliser ces répercussions dans un flot de déception lié à la non-atteinte d’autres objectifs plus larges. Ces actes sont historiques, à l’échelle même de la planète.

Un bilan morose malgré tout, après une fin abrupte?


Si bien entendu nous avons l’impression de ne pas avoir tout à fait gagné, c’est que nous nous sommes collectivement donné d’autres objectifs plus larges, consciemment ou non, au cours de cette mobilisation.

Ainsi, en abordant des questions fondamentales comme le choix du mode de production et de la superstructure politique dans lesquels nous évoluons, nous avons tenté de changer plus profondément les choses. Ces objectifs “supérieurs” par rapport à nos revendications de début de campagne n’ont pour le moment pas été remplis (et rien n’indique qu’ils puissent l’être dans un futur proche).

Du fait du décalage de notre éveil face à la stagnation intellectuelle, voire la torpeur profonde, dans laquelle se trouve la population, nous avons échoué à rendre possibles ces changements pour le moment. Nous n’avons par ailleurs pas su prendre le tournant de la campagne électorale pour continuer à faire passer nos messages et nos projets de société dans l’arène politique exacerbée qui s’offrait à nous. Il ne s’agissait pas de légitimer le parlementarisme, bien au contraire, mais plutôt de profiter d’un espace public hypersensible pour forcer au débat sur des projets de société et des questions fondamentales plus larges que celles posées lors de la campagne que nous avons vécu et qui a été marquée par une pauvreté intellectuelle sans précédent.

Si ainsi, nous avons manqué ce tournant, nous ne devons pas avoir honte de notre parcours. Nous avons pris conscience collectivement de la nécessité de changer les choses plus en profondeur encore. Nous ne pouvions peut-être pas le faire dans l’immédiat, mais il ne faut pas se décourager.

En effet, les changements que nous avons apportés sont probablement plus profonds que l’on ne pourrait le penser. Une société qui s’éveille dans un moment mobilisateur comme celui que nous avons créé est une société qui est marquée profondément. Il y a là, quelque part, un traumatisme et une évolution dans la conscience collective (si tant est qu’elle puisse vraiment exister).

Si maintenant, nous nous sentons floué-e-s par une fin de grève qui semble ne pas nous satisfaire, c’est également probablement à cause de la facilité avec laquelle le Parti Québécois a temporairement mis fin à notre mouvement, en affirmant qu’il allait annuler la hausse. Comme si nous nous étions fait ravir la fin de notre grève par un décret gouvernemental. On comprendra ici la déception, le sentiment de flottement que nous semblons ressentir face à ces événements. Il suffisait d’un simple décret pour accomplir notre objectif premier : l’annulation de la hausse. Maintenant que nous savons que cela sera fait, nous avons le sentiment que quelque chose de plus grand nous retient. Quelque chose de latent. Qui ne se traduit que trop mal pour le moment. Un jour nous étions là, pendant sept mois à se faire tabasser dans les rues, à nous faire qualifier de tous les noms dont nos réactionnaires nationaux ont pu nous affubler, et le lendemain d’une élection vide de sens et de débats de société, nous voici en classe, avec notre objectif premier accompli. À ne plus rien y comprendre. D’où le difficile sentiment d’anomie que beaucoup d’entre nous ressentent.

Dans tous les cas, il importe de marquer cette grève d’un signe de victoire. Car, oui, nous avons accompli de grandes choses. L’action collective et la solidarité ont une fois de plus montré leurs forces face à l’injustice et face à l’arbitraire. Nous n’avons pas flanché, nous avions raison. Pour la pérennité de nos mouvements, il est capital de le présenter comme tel. Nous n’avons pu gagner que par la combinaison de plusieurs moyens d’action, dont le principal a finalement été la grève, qui elle-même nous a permis d’organiser bien d’autres choses. Ainsi, pour la postérité, soyons fières et fiers de notre mouvement, nous pouvons raisonnablement l’être.

N’oublions par ailleurs pas que notre lutte est un exemple pour bien d’autres groupes sociaux qui ont pris conscience de la force de l’action collective. La grève a prouvé sa pertinence dans ce conflit et a pu renforcer certains acteurs dans d’autres mobilisations. Si le Chili ou l’Angleterre ont pu nous inspirer, il faut prendre conscience que nous venons de construire un des mouvements les plus solides dans le monde.

Si nous n’avons pas accompli tout ce que nous souhaitions, rappelons également que l’histoire est foncièrement une dialectique : elle évolue par résolution des contradictions internes à une société. Nous avons remis en lumière une contradiction dont nous connaissions l’existence et fait un autre pas pour tenter de forcer à sa résolution à travers la dialectique. Ce n’est pas rien. En fait, disons-le franchement, ce n’est que partie remise.


Le post-grève et ses répercussions


Le bilan post-grève n’est malheureusement pas que positif. En effet, de nombreux éléments sont très inquiétants a posteriori.

Premièrement, nous avons pu constater une nouvelle fois l’arbitraire de l’État et son potentiel fondamentalement répressif et dangereux. La mise en exergue de ces dynamiques par la création d’une situation de crise est un élément fort intéressant pour comprendre le fonctionnement des structures de domination et de répression modernes dans les démocraties libérales occidentales. De l’utilisation de la police et de groupes paramilitaires (comme la SQ) ou l’adoption de loi liberticide allant à l’encontre du respect de nos libertés fondamentales, ou encore la démonisation d’individus en particulier et l’utilisation de chefs d’accusation terroristes pour des actes qui n’en étaient pas, nous avons pu constater un virage dangereux et inquiétant pour la population. Plusieurs d’entre nous ont vécu dans la peur de venir se faire chercher par la police sans aucun motif valable, ou de devoir répondre d’actes non fondés pour seulement tenter de nous mettre “hors-jeu”. Quand les citoyennes et citoyens ont peur de l’État de cette façon, il y à lieu de se poser de sérieuses questions quant à la société dans laquelle nous évoluons collectivement et le respect des libertés civiles qui nous restent.

Deuxièmement, la grève va laisser des traces indélébiles pour bien des gens. Commençons par le plus évident : les blessé-e-s. Il y en a eu des graves. Nous avons la “chance” de ne pas avoir de victime ayant connu un sort fatal. Ce n’est là certainement pas grâce aux forces de police. N’oublions pas non plus les quelques 3200 arrêt-é-e-s ayant connu les arrestations arbitraires, l’humiliation, le mépris et la vexation, et parfois même la violence physique extrême s’apparentant à de la torture, de la part de la police et des tribunaux. Ces personnes seront à jamais marquées par l’arbitraire et l’injustice d’un système judiciaire biaisé en faveur du pouvoir et terriblement dur envers les mouvements sociaux. S’il y a fort à parier que bien des accusations vont tomber bientôt, il ne faut pas négliger l’impact de ces traitements cruels et hors de toute humanité.

D’autres encore se sentent lesé-e-s de la surmédiatisation de certains groupes. Il est vrai que cette grève a été un exemple troublant de surenchère médiatique (pas forcément négative pour le mouvement) envers certaines catégories du mouvement (portes-paroles, groupes artistiques, littéraires, scabs, radicaux, etc.), et pas nécessairement celles ayant construit le rapport de force. Si l’on ne veut pas ici jeter de pierre envers qui que ce soit, puisque tout le monde a aidé par divers moyens au succès du mouvement, il y à tout de même lieu de se questionner sur cette médiatisation et sur la dépossession de la lutte des militant-e-s ayant sacrifié presque tout dans leur vie pour que le mouvement puisse se construire et éclore. L’impression que certains groupes n’ont fait que “surfer sur la vague” est forte auprès de bien des militant-e-s qui perçoivent ces groupes comme étant purement opportunistes. Ainsi, le sentiment de se faire déposséder de notre mouvement est un sentiment fort et frustrant face auquel nous n’avons que peu de réponses à part une reconnaissance sans bornes aux gens qui ont aidé à construire le mouvement. “Que l’on écrive des livres sur la grève tant mieux, mais qu’au moins on demande aux principales et principaux intéressé-e-s, pas à des gens arrivés après que tout ait été déjà bien installé” entend-on souvent dans certains cercles.

À l’inverse, notons tout de même que la surmédiatisation de certains groupes a également permis de déconstruire certains préjugés, et par là même de faire de l’éducation populaire. Ne pensons qu’aux nombreux articles, de qualité variable, visant à expliquer ce qu’est un black bloc. Cela a également servi, malgré tout.


Maintenir des liens de solidarité


Face à une telle situation, il importe de façon prioritaire de maintenir les liens de solidarité que nous avons construits tout au long de la mise en place de notre mobilisation et de notre grève. Ces liens de solidarité sont notre plus belle et plus efficace “arme” contre un État qui en possède de vraies, qui tuent.

Les liens organisationnels, affinitaires, sociaux, culturels, etc. doivent se maintenir. Ils sont là notre principale force et notre capacité de faire d’autres grandes choses. Ils sont également une façon de rester solidaire et d’apporter un soutient à toutes celles et tout ceux qui en auront besoin après la grève.

Ces liens seront une des bases d’une mobilisation ultérieure. Il importe de tendre à les maintenir, voire à les élargir vers des bases plus populaires et inclusives. Tissons des liens avec les autres luttes sociales, avec les autres groupes en lutte. Maintenons un discours de justice sociale. Faisons nous voir encore.

Enfin, rappelons-nous ici encore une fois : la grève ne s’est pas construite toute seule. De nombreuses personnes ont sacrifié de larges pans de leurs vies, ont usé de leur santé, leur argent, leurs relations, leurs études, etc. à l’élaboration de ce rapport de force; de nombreuses personnes ont souffert, ont dû subir l’humiliation, la bêtise, la répression, la violence tout au long de la grève spécifiquement. Il importe de leur rendre hommage, sans elles et eux, rien n’aurait été possible.

La lutte est loin d’être finie

Si dans l’immédiat notre lutte semble s’achever lentement, il ne faut pas oublier que nous avions également des bases intellectuelles et politiques plus larges derrière un tel refus d’une augmentation des droits de scolarité, dont notamment la gratuité scolaire et l’accès à une éducation de qualité, publique et libre de toute ingérence du privé et plus généralement de l’influence du mode de production qui nous est imposé. Ou encore, ne serait ce que le refus de l’utilisation du terme légaliste “droits de scolarité” pour désigner les coûts monétaires que nous devons défrayer pour notre éducation, puisque payer pour un droit est un concept profondément antinomique et incohérent (un droit est inaliénable et non-monayable ou n’est pas).

C’est pourquoi il est capital de ne pas baisser les bras et de ne pas relâcher notre attention dans les mois à venir. Nous savons déjà qu’un sommet gouvernemental sera organisé sur la question du financement universitaire et de l’état de nos universités. Il ne faut pas se leurrer, le Parti Québécois a d’ores et déjà affirmé qu’il était en faveur de l’indexation des droits de scolarité, et a exclu la gratuité scolaire des débats. Les dés semblent déjà pipés. Nous rappelant un sommet organisé en 2010, par les libéraux.

Face à cette menace, demandons-nous : à quoi bon avoir fait presque 7 mois de grève si la hausse n’est finalement bloquée qu’un petit cent jours? Il faut se mobiliser et préparer la suite. La gratuité scolaire est un projet de société inclusif et réaliste à l’échelle des finances publiques québécoises. Battons-nous sur les bases politiques et sur la promotion de notre modèle de société comme nous avons su si bien le faire avec la CLASSE.

Dans un second temps, il est primordial que nous entamions une réflexion de fond sur la question de la nécessité de pratiquer de l’éducation populaire et par quels moyens celle-ci pourrait se faire.

Si le mouvement que nous avons construit a mené à une conscientisation d’une partie de la population, il n’en reste pas moins que plus de 50% de la population votante (la distinction est importante) a choisi de donner son vote à des partis ayant supporté l’adoption d’une loi liberticide et anticonstitutionnelle, faisant la promotion de la violence contre les étudiant-e-s et ayant une vision purement marchande de l’éducation. Il importe de se questionner sur ces chiffres. Il importe également de se questionner sur la façon dont nous devrions faire la promotion de nos idées et de nos valeurs de justice sociale. Et il est possible d’être “radicaux” tout en étant inclusifs. La pédagogie est notre plus belle qualité.

Autre cheval de bataille, la démocratie directe a été remise en question par les vieux partis à l’Assemblée nationale. Il serait important que nous y apportions en réponse une critique structurée et cohérente du parlementarisme, qui a été perçu, à tort ou à raison, comme une façon de sauver la situation et de sortir de la crise. S’il est vrai que c’est ultimement l’élection du Parti Québécois qui va mener à l’annulation de la hausse, il est encore plus vrai que c’est cette même élection qui risque de tuer complètement le mouvement social plus profond qui s’était construit. Nous avons gagné un peu pour perdre beaucoup sur le terrain de la substance politique et  des débats de société avortés.

Ainsi, dans notre effort d’éducation populaire il serait bon que nous nous efforcions de prendre une tangente pédagogique visant à délégitimer le système parlementaire libéral, et finalement son infrastructure, le capitalisme, afin d’apporter des alternatives politiques réalistes et cohérentes.

Notre force a été d’amener de l’espoir, des idées nouvelles, positives et réalistes. Gardons cette dynamique.

Restons mobilisé-e-s. Restons attentives et attentifs. Restons fières et fiers de ce que nous accompli collectivement. Acceptons le sentiment d’inachevé et de flottement comme un sentiment normal qui pourra éventuellement être résolu un jour. La dialectique est en marche. Nous avons été collectivement belles et beaux. D’une intelligence superbe. D’une fraîcheur géniale. Malgré tous nos petits échecs, tous nos petits tracas. Nous avons sacrifié beaucoup. Nous avons grandi beaucoup, également. Le monde a changé. Ou plutôt, peut-être est-ce plus nous qui avons changé. Comme des centaines de milliers d’autres personnes. Ne nous disons toutefois pas que tout est gagné. Ne soyons pas trop satisfaits de nous-mêmes. Beaucoup reste à faire. L’état de notre société est inquiétant, ne nous leurrons pas. Mais ne perdons pas espoir.


Nous sommes avenir. Et nous l’avons compris.

Ensemble, nous bloquerons de nouveau la hausse s’il le faut.

Montréal, samedi 8 septembre 2012.

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Samuel Ragot
Secrétaire général
Association facultaire étudiante de science politique et droit
Représentant étudiant au Conseil d'administration
Université du Québec à Montréal (UQAM)
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