Ci-dessous un texte de réflexion faisant un bilan très très partiel et très "à chaud" amenant quelques points liés à la fin de la grève. Je vous invite à le lire et à y apporter des commentaires et critiques.
- La démission d’une ministre de l’éducation
- La dissolution d’un parlement encore en séance bien avant le terme prévu;
- La défaite d’un chef de gouvernement et de parti dans son propre comté;
- La démission de ce même chef suite à sa défaite;
- L’adoption d’une loi spéciale liberticide que nous avons massivement défiée avec succès;
- L’atteinte de l’annulation de la hausse par l’élection d’un gouvernement péquiste (à savoir si cette élection est un gain ou non est une autre question);
- Les plus grandes manifestations de l’histoire du Québec et du Canada;
- La campagne de répression exacerbée que nous vécu et qui n’a tout de même pas réussi à venir à bout du mouvement.
En tant que tel, il est clair que, malheureusement, peu de mouvements sociaux (à part peut-être les divers groupes instrumentalisés par la CIA à des fins de coups d’État) pourraient se targuer d’avoir accompli de telles choses seulement par leur lutte et leur acharnement sans faille.
Nous avons également réveillé par notre action collective une partie de la population qui percevait le politique avec un fort sentiment de désintérêt et de défiance. Cette sensibilisation à des enjeux plus larges comme la lutte contre le néolibéralisme ou plus largement le capitalisme n’est pas négligeable. Il s’agit d’un premier pas dans une direction incertaine, mais intéressante.
Des manifestations massives aux casseroles dans les quartiers populaires de Montréal aux actions de perturbation dans les régions ou encore les actes de solidarité entre diverses luttes syndicales et sociales (on se souviendra des manifestations avec les travailleuses et travailleurs d’Aveos puis d’Alcan), nous avons ouvert des horizons de solidarité et de luttes sans précédent.
De sa torpeur, une partie du Québec a été arrachée violemment par le mouvement que nous avons connu. C’est, en soi, une chose absolument remarquable. La progression de nos idées de justice sociale, de lutte plus large contre le néolibéralisme a été remarquable. La qualité de notre mobilisation est en soit une fierté que nous pouvons nous attribuer collectivement.
La déroute de la droite est également un objet intéressant. Nous avons mis en échec tous nos adversaires politiques qui ont pourtant utilisé tous les moyens possibles et imaginables pour tenter de nous briser. Une déroute qui ne s’est toutefois pas concrétisée dans le résultat des élections, signe du manque de représentativité d’un des deux mouvements (et bien honnêtement, il nous semble évident que le manque de représentativité est plus à attribuer au parlementarisme qu’à la démocratie directe...).
Il ne faut donc pas marginaliser ces répercussions dans un flot de déception lié à la non-atteinte d’autres objectifs plus larges. Ces actes sont historiques, à l’échelle même de la planète.
Un bilan morose malgré tout, après une fin abrupte?
Si bien entendu nous avons l’impression de ne pas avoir tout à fait gagné, c’est que nous nous sommes collectivement donné d’autres objectifs plus larges, consciemment ou non, au cours de cette mobilisation.
Ainsi, en abordant des questions fondamentales comme le choix du mode de production et de la superstructure politique dans lesquels nous évoluons, nous avons tenté de changer plus profondément les choses. Ces objectifs “supérieurs” par rapport à nos revendications de début de campagne n’ont pour le moment pas été remplis (et rien n’indique qu’ils puissent l’être dans un futur proche).
Du fait du décalage de notre éveil face à la stagnation intellectuelle, voire la torpeur profonde, dans laquelle se trouve la population, nous avons échoué à rendre possibles ces changements pour le moment. Nous n’avons par ailleurs pas su prendre le tournant de la campagne électorale pour continuer à faire passer nos messages et nos projets de société dans l’arène politique exacerbée qui s’offrait à nous. Il ne s’agissait pas de légitimer le parlementarisme, bien au contraire, mais plutôt de profiter d’un espace public hypersensible pour forcer au débat sur des projets de société et des questions fondamentales plus larges que celles posées lors de la campagne que nous avons vécu et qui a été marquée par une pauvreté intellectuelle sans précédent.
Si ainsi, nous avons manqué ce tournant, nous ne devons pas avoir honte de notre parcours. Nous avons pris conscience collectivement de la nécessité de changer les choses plus en profondeur encore. Nous ne pouvions peut-être pas le faire dans l’immédiat, mais il ne faut pas se décourager.
En effet, les changements que nous avons apportés sont probablement plus profonds que l’on ne pourrait le penser. Une société qui s’éveille dans un moment mobilisateur comme celui que nous avons créé est une société qui est marquée profondément. Il y a là, quelque part, un traumatisme et une évolution dans la conscience collective (si tant est qu’elle puisse vraiment exister).
Si maintenant, nous nous sentons floué-e-s par une fin de grève qui semble ne pas nous satisfaire, c’est également probablement à cause de la facilité avec laquelle le Parti Québécois a temporairement mis fin à notre mouvement, en affirmant qu’il allait annuler la hausse. Comme si nous nous étions fait ravir la fin de notre grève par un décret gouvernemental. On comprendra ici la déception, le sentiment de flottement que nous semblons ressentir face à ces événements. Il suffisait d’un simple décret pour accomplir notre objectif premier : l’annulation de la hausse. Maintenant que nous savons que cela sera fait, nous avons le sentiment que quelque chose de plus grand nous retient. Quelque chose de latent. Qui ne se traduit que trop mal pour le moment. Un jour nous étions là, pendant sept mois à se faire tabasser dans les rues, à nous faire qualifier de tous les noms dont nos réactionnaires nationaux ont pu nous affubler, et le lendemain d’une élection vide de sens et de débats de société, nous voici en classe, avec notre objectif premier accompli. À ne plus rien y comprendre. D’où le difficile sentiment d’anomie que beaucoup d’entre nous ressentent.
Dans tous les cas, il importe de marquer cette grève d’un signe de victoire. Car, oui, nous avons accompli de grandes choses. L’action collective et la solidarité ont une fois de plus montré leurs forces face à l’injustice et face à l’arbitraire. Nous n’avons pas flanché, nous avions raison. Pour la pérennité de nos mouvements, il est capital de le présenter comme tel. Nous n’avons pu gagner que par la combinaison de plusieurs moyens d’action, dont le principal a finalement été la grève, qui elle-même nous a permis d’organiser bien d’autres choses. Ainsi, pour la postérité, soyons fières et fiers de notre mouvement, nous pouvons raisonnablement l’être.
N’oublions par ailleurs pas que notre lutte est un exemple pour bien d’autres groupes sociaux qui ont pris conscience de la force de l’action collective. La grève a prouvé sa pertinence dans ce conflit et a pu renforcer certains acteurs dans d’autres mobilisations. Si le Chili ou l’Angleterre ont pu nous inspirer, il faut prendre conscience que nous venons de construire un des mouvements les plus solides dans le monde.
Si nous n’avons pas accompli tout ce que nous souhaitions, rappelons également que l’histoire est foncièrement une dialectique : elle évolue par résolution des contradictions internes à une société. Nous avons remis en lumière une contradiction dont nous connaissions l’existence et fait un autre pas pour tenter de forcer à sa résolution à travers la dialectique. Ce n’est pas rien. En fait, disons-le franchement, ce n’est que partie remise.
Le post-grève et ses répercussionsLe bilan post-grève n’est malheureusement pas que positif. En effet, de nombreux éléments sont très inquiétants a posteriori.
Premièrement, nous avons pu constater une nouvelle fois l’arbitraire de l’État et son potentiel fondamentalement répressif et dangereux. La mise en exergue de ces dynamiques par la création d’une situation de crise est un élément fort intéressant pour comprendre le fonctionnement des structures de domination et de répression modernes dans les démocraties libérales occidentales. De l’utilisation de la police et de groupes paramilitaires (comme la SQ) ou l’adoption de loi liberticide allant à l’encontre du respect de nos libertés fondamentales, ou encore la démonisation d’individus en particulier et l’utilisation de chefs d’accusation terroristes pour des actes qui n’en étaient pas, nous avons pu constater un virage dangereux et inquiétant pour la population. Plusieurs d’entre nous ont vécu dans la peur de venir se faire chercher par la police sans aucun motif valable, ou de devoir répondre d’actes non fondés pour seulement tenter de nous mettre “hors-jeu”. Quand les citoyennes et citoyens ont peur de l’État de cette façon, il y à lieu de se poser de sérieuses questions quant à la société dans laquelle nous évoluons collectivement et le respect des libertés civiles qui nous restent.
Deuxièmement, la grève va laisser des traces indélébiles pour bien des gens. Commençons par le plus évident : les blessé-e-s. Il y en a eu des graves. Nous avons la “chance” de ne pas avoir de victime ayant connu un sort fatal. Ce n’est là certainement pas grâce aux forces de police. N’oublions pas non plus les quelques 3200 arrêt-é-e-s ayant connu les arrestations arbitraires, l’humiliation, le mépris et la vexation, et parfois même la violence physique extrême s’apparentant à de la torture, de la part de la police et des tribunaux. Ces personnes seront à jamais marquées par l’arbitraire et l’injustice d’un système judiciaire biaisé en faveur du pouvoir et terriblement dur envers les mouvements sociaux. S’il y a fort à parier que bien des accusations vont tomber bientôt, il ne faut pas négliger l’impact de ces traitements cruels et hors de toute humanité.
D’autres encore se sentent lesé-e-s de la surmédiatisation de certains groupes. Il est vrai que cette grève a été un exemple troublant de surenchère médiatique (pas forcément négative pour le mouvement) envers certaines catégories du mouvement (portes-paroles, groupes artistiques, littéraires, scabs, radicaux, etc.), et pas nécessairement celles ayant construit le rapport de force. Si l’on ne veut pas ici jeter de pierre envers qui que ce soit, puisque tout le monde a aidé par divers moyens au succès du mouvement, il y à tout de même lieu de se questionner sur cette médiatisation et sur la dépossession de la lutte des militant-e-s ayant sacrifié presque tout dans leur vie pour que le mouvement puisse se construire et éclore. L’impression que certains groupes n’ont fait que “surfer sur la vague” est forte auprès de bien des militant-e-s qui perçoivent ces groupes comme étant purement opportunistes. Ainsi, le sentiment de se faire déposséder de notre mouvement est un sentiment fort et frustrant face auquel nous n’avons que peu de réponses à part une reconnaissance sans bornes aux gens qui ont aidé à construire le mouvement. “Que l’on écrive des livres sur la grève tant mieux, mais qu’au moins on demande aux principales et principaux intéressé-e-s, pas à des gens arrivés après que tout ait été déjà bien installé” entend-on souvent dans certains cercles.
À l’inverse, notons tout de même que la surmédiatisation de certains groupes a également permis de déconstruire certains préjugés, et par là même de faire de l’éducation populaire. Ne pensons qu’aux nombreux articles, de qualité variable, visant à expliquer ce qu’est un black bloc. Cela a également servi, malgré tout.