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L’ASSÉ ne fait pas le
printemps
Billet
publié le 30 mars 2015
La
révolte gronde à travers le Québec et se propage jour après jour. Déjà 66
associations étudiantes ont voté la grève reconductible. Les manifs de soir
s’accumulent. Le Vieux-Montréal et l’Université Laval se saisissent de leurs
campus et les transforment en lieux politiques. L’UQAM a été bloquée
aujourd’hui même. Alors que le Printemps 2012 avait pris plusieurs semaines
pour se mettre en branle, le Printemps 2015 a pris son envol en l’espace de
quelques jours. Le mouvement reprend là où 2012 s’était interrompu. La grève
est en marche.
Et la
répression, elle, ne s’est pas fait attendre. Des arrestations massives ont eu
lieu aussi bien à Québec qu’à Montréal. Des chiens se sont rués sur les
manifestant.es les plus pacifiques. Une jeune étudiante s’est même fait tirer à
bout portant par les flics. Et la direction de l’UQAM menace maintenant
d’expulsion politique neuf étudiant.es militant.es.
C’est
dans cette conjoncture tendue mais enthousiaste que le comité exécutif de
l’ASSÉ balance son pavé : un appel à la fin de la grève étudiante, alors
que celle-ci bat son plein dans les universités, en démentant tous les
pronostics pessimistes. La parole du comité exécutif de l’ASSÉ serait la parole
raisonnable et paternelle qui appellerait à l’évidence stratégique. Le comité
exécutif aurait son propre agenda, ses propres ultimatums : une
méga-manifestation le 2 avril appelant une grève à l’automne qui agirait de
pair avec une grève des travailleurs du secteur public, et plus
particulièrement du secteur de l’éducation. Selon cette parole
« raisonnable », nous serions aujourd’hui en déficit de puissance
pour faire grève – sans allié.es parmi les travailleuses et les travailleurs –
si bien qu’il y aurait apparemment danger de défaite aux lourdes conséquences.
Or, avec
cet appel raisonnable et paternaliste, l’exécutif de l’ASSÉ vient de saper sa
légitimité en remettant en question une grève adoptée par plus de la moitié de
ses associations membres.
Depuis la
naissance du mouvement Printemps 2015, ce comité exécutif martèle la même
stratégie à travers toutes les assemblées générales et congrès, rappelant à
chaque fois que la grève n’aura d’efficace qu’en automne. Et pourtant, ces
mêmes assemblées ont refusé leur mot d’ordre en entamant une grève le 21 mars.
Si bien qu’il est dorénavant hors de doute que ce même comité exécutif ne
remplit pas les conditions minimales pour s’autoriser, aujourd’hui, un appel à
la fin de la grève. Ironie suprême : l’ASSÉ s’était toujours démarquée des
fédérations étudiantes (FEUQ-FECQ) par sa loyauté envers sa base
militante, refusant de se servir des médias de masse pour influer sur elle. Or,
c’est elle qui se salit aujourd’hui les mains en reproduisant les manœuvres
qu’elle décriait jadis.
La grève
du printemps 2015 s’est organisée sur d’autres bases que les traditionnelles
structures de l’ASSÉ. En appelant à la fin de la grève sous prétexte de repli
stratégique, l’exécutif cherche à museler une base qui tend de plus en plus à
se dérober de sa mainmise.
À chacune
de ses manifestations, la contestation n’épuise pas ses forces. Au contraire,
notre force s’alimente et devient contagieuse. Parlerait-on de grève sociale en
2015 s’il n’y avait pas eu le mouvement de 2012 ? Et pourtant, aux
premières semaines de 2012, personne n’aurait pu prévoir l’ampleur de ce qui
est advenu. Une grève maintenant ne signifie pas l’impossibilité d’une grève
plus tard, à l’automne. C’est bien cela que signifie un printemps
rampant : un mouvement qui s’inscrit dans la durée, qui prend différentes
formes et possède plusieurs moments de puissance effective. Le plus important
est qu’au sein de ce mouvement des allié.es se rencontrent, des tactiques
s’inventent et des forces s’organisent. Inversement, selon la conception de
l’exécutif actuel de l’ASSÉ, ces forces seraient toujours à économiser, comme
si nous étions de petits soldats à usage unique qu’il faudrait lancer au combat
au bon moment (et au profit des centrales syndicales).
Mais plus
profondément, cette confiance aveugle envers la mobilisation des centrales
syndicales rend perplexe. Ces mêmes centrales qui, en 2012, au sommet du plus
grand mouvement social que le Québec ait connu, n’ont jamais envisagé la grève.
Ces mêmes centrales qui sont contre toute grève illégale, qui ont appuyé la
Charte et qui ne se positionnent pas contre les projets d’hydrocarbures. Et si
les syndicats ne partaient pas en grève à l’automne 2015, comme leur logique
l’indique, quel est le plan de l’ASSÉ ? Va-t-on remettre entre les mains
de dirigeant.es syndicaux, notre destinée politique ?
Les
exécutant.es de l’ASSÉ à l’origine de cette « proposition »
répondraient qu’eux non plus n’ont jamais cru aux dirigeant.es des centrales
syndicales, mais qu’ils comptent sur les syndicalistes locaux pour déborder les
dirigeant.es dans un mouvement contre l’austérité. Pas au bout de ses
contradictions, l’exécutif de l’ASSÉ fait pourtant le même geste que les
centrales : de peur d’être dépassé par ses membres ardent.es, l’exécutif
les rappelle à la raison et à l’ordre. De plus, cette focalisation sur l’agenda
de syndicats de la fonction publique met de côté toutes celles et ceux que
l’appel à la grève sociale vise à rejoindre. Organismes communautaires,
chômeurs et chômeuses, travailleurs et travailleuses du privé : autant de
forces prêtes à se mobiliser et autant, sinon plus, touchées par l’austérité.
Dans le
contexte actuel, abandonner ne signifie pas seulement mettre fin à un mouvement
inédit dans la radicalité de ses revendications et l’autonomie de ses formes,
mais surtout abandonner des luttes nécessaires : les neuf camarades sur
qui plane la menace de l’expulsion à l’UQAM, qu’est-ce qui les sortira de là
sinon un mouvement combatif qui met la pression pour que la direction abandonne
les charges ? Et ces blessé.es que la police a déjà mutilé.es, qui portera
leur parole, qui défendra leur honneur et qui accomplira leurs aspirations
?
Pour un
syndicat « de combat », être dépassé par sa base devrait toujours
être une bonne nouvelle, et non une menace au plan stratégique d’un exécutif
autoritaire et condescendant. Parier sur une grève sociale, c’est parier sur la
combativité des membres de la base, sur des gens qui résistent d’ores et déjà
aux menaces, à la répression et à la bureaucratie syndicale grassement payée.
Mais surtout, nous misons sur l’élan qui a déjà porté des milliers de personnes
à sortir dans les rues, à plusieurs reprises en une seule semaine.
Cet élan
ne s’arrête pas strictement à la grève étudiante. Il se prolongera lors du 11
avril, à la manifestation contre le Conseil de la Confédération sur les
changements climatiques, lors de la grève sociale du 1er mai, puis pendant
l’été en luttes localisées contre les projets d’hydrocarbures.
Vive le
printemps! Vive la grève!