Texte de réflexion de Force Étudiante Critique sur la "trève électorale": http://www.forceetudiantecritique.org/2012/08/treve-de-niaiseries-restons-debouts.html

Trêve de niaiseries, restons debouts !


L’État nous affame. La reprise de la session est imminente et nous voilà sans le sou. Les plus précaires d’entre nous souffrent des conséquences de la grève qu’on veut nous faire payer. Le prochain transfert d’aide financière tarde à venir et les coffres de nos organisations sont, pour la plupart, à sec. Si la grève reprend, on nous menace à coup d’amendes salées et de la dissolution de nos associations étudiantes. Si les cours reprennent pendant la campagne électorale, comme le souhaitent les tenants d’une «trêve» qui n’en est pas une, on nous imposera une surcharge de travail insoutenable dans un contexte de tension insupportable, tout en concédant la victoire à l’ennemi. Et cet ennemi ne sera pas moindre si les libéraux ne sont pas réélus, car tous les partis aspirant au pouvoir - aussi «progressistes» soient-ils - devront nous imposer, au travers leur «légitimité» électorale, ces politiques d’austérités tarifaires qui symbolisent la réponse néolibérale à la crise économique de 2008.

Une trêve unilatérale n’en est pas une

À force d’en parler on finit par y croire, mais n’oublions pas que les mots ont un sens et ce que nous propose la droite du mouvement étudiant n’est pas une trêve. Le gouvernement ne met pas un frein à la loi spéciale ou à la hausse. Au contraire, il use de chantage avec les prêts et bourses et les cotisations aux associations étudiantes pour nous prendre à la gorge. Il n’y a que nous qui concédons quelque chose l’instant d’un moment, ce qui constitue en fait une capitulation.

L’idée de la «trêve» pose directement la question du maintient du rapport de force que nous avons construit d’arrache-pied. Ce qu’on nous demande, c’est d’arrêter la grève pendant plusieurs semaines, pour nous plonger dans une session intensive en tentant d’y surnager malgré notre sentiment d’impuissance lié à la conclusion du conflit. Il n’en faudrait pas davantage pour que le momentum du mouvement étudiant et son rapport de force se noient dans le découragement, dans un manque de temps et d’énergie que ne pourront empêcher les meilleures volontés. Si la poursuite de la grève semble ardue, sa reprise suite à une «trêve» frôle l’impossible. À cela s’ajoute l’impératif de conserver en main les armes que nous nous sommes forgées, ce rapport de force que nous avons affûté au fil des mois: la menace de plus en plus tangible de l’annulation de notre session. Cet accroc à l’engrenage bien huilé du système d’éducation effraie tant l’État que le calendrier scolaire est contorsionné à l’extrême pour l’éviter. Cela ne sera plus possible si la grève se prolonge. C’est aussi pour cela que la répression se fait aussi agressive. Si nous nous arrêtons le temps que les choses se placent, repartir en grève signifiera devoir rebâtir tout ce que la plus large contestation étudiante aura pu faire et devoir même aller au-delà, parce que tout ce que nous aurons fait n’aura pas été suffisant et que l’État s’attendra toujours, désormais, à une capitulation imminente sous la menace, sans aucune concession de sa part.

La peur de Charest

Plusieurs brandissent l’épouvantail d’une victoire électorale du PLQ qui serait causée par l’écoeurement de la population face à nos moyens de pression. Dans ce scénario, le PLQ récolterait les fruits de sa stratégie de pourrissement du conflit en jouant la carte de la loi et de l’ordre, de sorte que continuer la grève reviendrait à travailler à la réélection de Charest. Par conséquent, il faudrait limiter nos moyens d’action durant la grève, et attendre après les élections avant de relancer celle-ci. C’est un marché de dupes auquel on nous convie: si la grève continue, elle est présumée servir le PLQ, alors que si celle-ci arrête, le gouvernement pourra se targuer d’avoir maté le mouvement avec son intransigeance et sa loi spéciale.

Le problème de cette vision c’est qu’elle repose sur une fausse prémisse, à savoir que tout moyen de pression profiterait électoralement au PLQ. Or cette opinion ne résiste pas à l’analyse. Non seulement le PLQ a-t-il perdu plus de 15% de ses appuis lors des récentes élections partielles de ce printemps, où le souvenir de la grève était encore très frais et les diverses manifestations encore importantes, mais en plus la prime électorale apportée par le thème de la loi et de l’ordre risque d’être divisé entre la CAQ et le PLQ. Bien que la CAQ soit aussi à droite que le PLQ, le positionnement particulier du parti de François Legault sur la question étudiante va certainement diviser le vote de l’électorat de droite, ce qui affaiblit encore la thèse voulant que la grève serve la réélection de Charest. De plus, si la grève se poursuit, l’impression voulant que le PLQ ait mal géré la crise volontairement et ait tenté de s’en servir pour se faire du capital politique pourrait devenir très forte.

Nos interlocuteurs en période électorale

En campagne électorale, l’Assemblée nationale est dissoute, mais il serait faux de prétendre que nous n’avons plus d’interlocuteur. Le gouvernement continue de gouverner et rien n’empêche le Conseil des ministres de décréter la satisfaction de nos revendications - comme il vient par-ailleurs de le faire avec les professeurs de cégep - mais surtout, les forces économiques à l’origine de la hausse ne disparaissent pas avec les élections. Au contraire, l’État cherche à se servir de la seule journée où ils nous demandera notre avis en quatre ans pour redorer son petit vernis démocratique mis à mal par des mois de contestation. Après qu’on ait développé une pratique de démocratie directe dans nos assemblées, de prises de décisions collectives qui peuvent être remodelées, repensées, ou alors battues, pourquoi devrions-nous nous résigner à abandonner ce pouvoir aux mains d’individus qui n’ont de comptes à rendre à personne d’autre qu’aux intérêts corporatistes et capitalistes qui guident leurs politiques ? Pourquoi devrions-nous plier l’échine devant leur démocratie représentative, qui s’oppose à la nôtre qui est, elle, directe ? À moins de considérer que notre grève relève d’un enjeu corporatiste strictement étudiant, on ne peut prétendre que notre interlocuteur disparaît avec les élections puisque l’enjeu de notre lutte est beaucoup plus large.

Pouvoir et contre-pouvoir : dicter les règles du jeu

Notre rôle devrait être de s’imposer comme un contre-pouvoir, en continuant de combattre la hausse et la loi spéciale, puisque tout les partis pouvant raisonnablement aspirer au pouvoir ne proposent qu’un compromis sur cette question. Or si les choix qui nous sont présentés sont si limités, c’est qu’ils sont déjà faits par les groupes et lobbys qui contrôlent l’État et qui sont en mesure de lui opposer une toute autre pression que celle que le mouvement étudiant, à cause des moyens d’action qu’il prône et des ressources dont il se dote, est capable de réaliser. Pour aspirer à gouverner, les partis doivent se conformer à un cadre raisonnable qui ne remet pas en question les intérêts des classes dominantes, de sorte que si les partis ont des différences réelles, ils demeurent en accord sur le fond pour sauvegarder ces intérêts. C’est donc à un ensemble de politiques néolibérales qui favorisent systématiquement certaines classes sociales que nous sommes confrontés. C’est justement dans ce cadre que le mouvement étudiant a tenté de placer sa lutte. La fuite du gouvernement par le biais des élections nous permet de poser plus largement la question des frais de scolarité, de la faire sortir de ses ornières corporatistes et de poser à une échelle plus large les enjeux que notre lutte soulèvent. Mais si le mouvement étudiant se laisse séduire par l’idée d’une trêve, il se trouverait désarmé et dépendant, à la solde d'une stratégie électorale qui lui est extérieure et sur laquelle il n’aurait aucun contrôle. Il doit lutter sur son propre terrain, avec les armes qui sont les siennes, en réaffirmant encore plus fort la légitimité de la démocratie directe et en l’opposant à une démocratie de façade qui ne s’exercerait qu’une fois tous les quatre ans.

En ce sens, le contexte des élections ne justifie pas une «trève», dont, soit dit en passant, la justice ne ferait jamais don à tou-te-s les arrêté-es de la grève. Au contraire, il faut que l'ensemble des partis en campagne qui aspirent à prendre le pouvoir soient soumis aux contraintes que leur impose un mouvement démocratique, ouvert et combatif. Il faut que la légitimité l'emporte sur la légalité. Pourquoi leur donnerait-on un break? Si le bourbier administratif et ses conséquences engendrées par la grève de l'hiver n'ont convaincu ni l'un ni l'autre des principaux partis à s’engager formellement dans l’amélioration des conditions de vie des étudiant-es, c'est qu'ils souhaitent un essoufflement imminent. Une trêve serait leur donner satisfaction. Il en va de même pour la loi 78: le meilleur moyen de la faire tomber, c'est de ne lui reconnaître aucune légitimité et de ne pas la respecter, comme ce fut fait pour les injonctions et par le mouvement des casseroles.

Une campagne électorale n’est pas un lieu d’expression démocratique. La trame narrative de la campagne est largement dictée par les médias. Ce sont eux qui choisissent les sujets importants à traiter et les termes d’une lutte qui est davantage basée sur les relations publiques que sur un réel débat politique, qui définissent quels sont les enjeux de la campagne, qui décrètent qui sont les candidat-es crédibles, et qui donnent de l’espace médiatique de manière asymétrique en fonction de leur lignes éditoriales, si bien que le résultat des élections peut être prédit avec une certaine justesse par l’indice du poids médiatique des divers partis. Ainsi, cette trame narrative est imposée par des entreprises privées poursuivant des intérêts la plupart du temps distincts de ceux des classes populaires, enfermant le processus électoral dans des cadres acceptables et dictant les règles du jeu parlementaire. Or, le véritable pouvoir ne réside pas dans le fait de choisir un gouvernement non imputable à l’intérieur d’un éventail de propositions limitées et inoffensives, mais bien dans le fait de pouvoir ou non être en mesure de dicter les règles du jeu. Pour un mouvement social comme le nôtre, cette capacité à faire changer les règles du jeu, à faire bouger les limites étroites dans lesquelles les politiques néolibérales nous enferment réside bien plus dans la construction d’un rapport de force avec l’État et les intérêts qui le contrôlent que dans la participation à un jeu électoral dont les règles nous défavorisent.

Conditions matérielles, conséquences de la loi 78: s’organiser autrement

Lorsque nous avons voté d’aller en grève, ce choix s’est fait collectivement. Nous avons choisi un moyen de pression qui ne pénaliserait pas individuellement ceux et celles qui le mettraient volontairement en application. Nous avons fait le pari de miser notre session à tou-te-s, son retard ou son annulation et de rester solidaire dans ce choix: nous rentrerions ensemble ou ne nous rentrions pas. Voilà que maintenant l’État tente par tous les moyens dont il dispose de briser cette solidarité pour nous faire assumer individuellement les conséquences de cette grève. Plusieurs de ceux et celles qui ont tenu les lignes face aux injonctions et manifesté malgré la loi 78 se sont retrouvés seul-es aux prises avec la justice et les tickets. Si elle survient maintenant, la rentrée, peu importe le nom qu’on lui donne, sera un cauchemar ayant pour trame de fond une tension insoutenable, tournant le fer dans la plaie de l’absence de gain et les conditions de retour en classe nous serons imposées. L’horaire surchargé auquel nous serons astreint restreignera les possibilités de travail rémunéré permettant de pallier le manque financier du non-versement des prêts et bourses de ce début d’automne. Et que dire des parents-étudiants qui doivent partager leur temps précieux entre famille et études, les étudiants et étudiantes internationales et réfugié-es qui ne peuvent se passer de travail pour payer des frais plus élevés que les nôtres et qu’aucune bourse ne vient alléger, les plus pauvres qui ne peuvent compter sur le soutien de leur famille, etc.

Si nous essuyons docilement une défaite, il ne fait aucun doute que nous ne serons pas en position de construire le rapport de force nécessaire pour négocier des conditions acceptables de rentrée en classes. Encore une fois, seule la poursuite de la grève ou la menace de cette poursuite sera en mesure d’imposer une pression suffisante, autant au niveau local (où beaucoup des enjeux du retour en classe se négocieront) qu’au niveau national, où nous aurons à nous occuper des victimes de la criminalisation du mouvement et de celles et ceux touchées par les insuffisances des prêts et bourses.

En contrepartie, il serait faux de dépeindre la continuité de notre grève comme la simple poursuite de ce qu’elle fut. Loi 78 oblige, celles et ceux qui oseront mettre en application les mandats légitimés par la démocratie directe de nos asssemblées générales devront serrer les dents face à une répression violente de la police et aux amendes aux montants astronomiques. L’État menace aussi les associations étudiantes de dissolution en leur retirant l’accréditation qu'il leur avait concédée pour mieux les encadrer. Cependant, tenter de se replier au nom d’une stratégie de défense du droit d’accréditation que l’on menacerait en contrevenant au retour en classe ne ferait que démontrer la soumission dans lequel ce statut les maintient. À ce prix, il serait plus souhaitable que les accréditations tombent que de se replier pour les préserver. Le rapport de force des associations étudiantes auprès des directions des institutions scolaires pourrait justifier à lui seul la prise d’une entente permettant aux associations étudiantes d’avoir le plein contrôle sur les versements de leurs cotisations, comme cela était une pratique courante jusqu’aux années 1990. Les associations étudiantes n’ont pas toujours eu les moyens financiers et logistiques dont elle disposent maintenant, mais pourtant cela ne les a jamais empêché de lutter avec acharnement pour le droit à l’éducation. Plus que jamais depuis le début de la grève, pour être en mesure de la poursuivre, nous aurons à faire appel à notre capacité d’auto-organisation à l’extérieur des structures habituelles des associations étudiantes pour l’organisation politique, la défense de nos droits et l’entraide pour faire face à nos conditions de vie précarisées. Les solutions alternatives sont nombreuses; hébergements militants, comités de mobilisation et groupes d’affinités, co-voiturage, cuisines collectives et récupération de bouffe, assemblées d’entraide directe, prêts de salle par des organismes communautaires, soutien des Assemblées populaires de quartier (APAQ)...

Conclusion

La force de notre mouvement dépend de sa capacité à imposer le choix des armes et du terrain sur lequel la bataille se jouera. Si nous choisissons ce soi-disant retour forcé en raison des diverses contraintes de l’État, en nous disant qu’il est de notre initiative parce qu’on y appose nous-même le nom de «trêve électorale», nous n’en aurons pas moins tout perdu. Concéder une trêve électorale, c’est entrer sur un terrain où tout est contre nous, où nous n’avons pas le choix des moyens et où notre parole sera enterrée par le discours partisan et les média. Il est plus que jamais nécessaire de réaffirmer la légitimité de nos assemblées générales, des institutions étudiantes qui depuis près de 50 ans luttent pour l’accessibilité à l’éducation et pour protéger la société contre les politiques dévastatrices de gouvernements trop souvent à la solde d’intérêts privés.

L’histoire du syndicalisme et des mouvements sociaux est faite de lois spéciales, d’interdictions, de répression, d’arrestations. Avec la loi 78, avec les injonctions, et maintenant avec le piège électoral, l’État cherche à museler les capacités de résistance qui jaillissent d’une société trop souvent mise à mal par des politiques ne favorisant que les minorités dominantes. C’est en ce sens que le mouvement étudiant a une responsabilité plus large que vis-à-vis de lui-même. Il est dangereux de permettre à un gouvernement de désarmer toute opposition réelle. Ne le permettons pas.