Bonjour à toutes et tous,

Je vous transmet ici un texte de réflexion que j'ai écrit ce lundi dans le courant de la journée. Celui-ci apporte une analyse, sans prétention, sur la campagne électorale et le rôle, pour le moment, manqué de la CLASSE au sein de cette même campagne. Il ne s'agit bien entendu que d'un des déterminants, mais il me semble que la question mérite d'être posée. J'ai tenu à être le plus neutre possible et à ne pas accompagner ce texte de jugements de valeurs purement personnels. Si toutefois vous vous sentiez visé-e-s, ce n'était pas le but et je vous prie de bien vouloir ne pas le prendre personnellement.

Enfin, la grève n'est pas finie. Nous aurons besoin d'aide la semaine prochaine, dès lundi, à l'UQAM pour les votes de grève.

Solidairement,

S


--

Le piège (réussit) de la campagne


Alors que le mouvement voit ses derniers votes de grève échouer les uns derrière les autres, il importe dors et déjà de se questionner sur les raisons de la potentielle mort prématurée d’un des épisodes de contestation les plus énergiques et rafraîchissant socialement qu’ait vécu le Québec depuis longtemps. Rappelons-nous, il y a encore quelques semaines, nous parlions encore de printemps érable pour désigner la vague que nous avons construite collectivement, nous les étudiant-e-s et la société civile dans son ensemble. Que s’est-il passé pour que nous soyons maintenant en train de tenter de ralentir la lente agonie de notre mobilisation?


La réponse est complexe, mais un des éléments (parmi d’autres) réside dans le déclenchement de la campagne électorale et le vide stratégique que la CLASSE n’a pas su aborder ni combler de façon efficace.


Du vide stratégie et de la division sur la question du vote

La première erreur de la CLASSE a été de ne pas aborder de front l’élection déclenchée par les libéraux. Cette ultime manoeuvre, dont on savait l’éventualité, a finalement réussi à résorber temporairement la crise sociale que nous avons vécue.  


Alors que l’on s’était habitué à la vision pragmatique, mais tout de même respectueuse de ses propres principes, de la lutte menée par la CLASSE, celle-ci s’est finalement retrouvée viscéralement divisée sur la question du vote ou de l’abstentionnisme aux élections, plutôt que de se poser la question de l’occupation ou non de l’espace public de la campagne électorale. De savoir comment, comme nous avions pu le faire à l’hiver et au printemps, amener un projet porteur pour la société et pour le mouvement de grève. Un projet qui maintiendrait la mobilisation et l’espoir parmi les bases mobilisées et une partie de la société civile.


Ce vide stratégique, dont les vieux partis ont profité, a mené à la marginalisation de la CLASSE dans l’espace public et à la perte de sens de la lutte pour beaucoup d’étudiant-e-s qui voyaient dans la campagne la fin de l’opposition au PLQ et une chance de faire changer les choses par le vote, sans analyser plus loin les dynamiques sociales que le printemps avait pu mettre en lumière.


On pourra attribuer cette absence marquée du débat électoral à plusieurs causes dont, de façon absolument non exhaustive :



Outre ces éléments propres à la CLASSE, l’absence notable de discours combatif au profit d’une stratégie électoraliste des Fédérations étudiantes n’aura clairement pas aidé la CLASSE à maintenir le cap ou même à penser s’investir dans la campagne. Il nous semble par ailleurs encore une fois que l’erreur fondamentale de se polariser sur la décision ou non de voter a nui à la campagne des fédérations étudiantes qui ont vu leur discours s’axer presque uniquement sur ce point plutôt que sur les questions de fond qu’elles soulevaient.


Conséquences immédiates de la potentielle fin de la grève et de l’absence de la CLASSE

Si la lente agonie de la CLASSE va premièrement amener à un retour en classe plus ou moins rapide, celle-ci aura d’autres conséquences bien plus notables et graves pour la société québécoise.


Premièrement, les libéraux vont potentiellement sortir plus forts de ce conflit, notamment parce que les étudiant-e-s auront plié devant la loi 12. L’ironie du sort veut tout de même que nos adversaires n’aient pas gagné sur le fond de la question, sur le débat de société, mais plus sur leur utilisation de mesures autoritaires et liberticides, précédent inquiétant pour toute mobilisation citoyenne en ‘démocratie’ parlementaire libérale. Ainsi, au lieu de l’emporter sur le fond, à l’avenir, nos technocrates n’auront qu’à nous avoir “par les armes”. Il s’agit là d’un recul terrible pour nos libertés fondamentales.


Deuxièmement, le lien entre crise sociale et débats électoraux n’aura pas été fait. Alors que la mobilisation du printemps a amené son lot de problématiques sociales, dont la remise en question du néolibéralisme, la campagne électorale n’aura en aucun cas abordé ces questions de fond. La CLASSE, en ne s’investissant pas dans le débat a délaissé sa place d’acteur dominant dans la sphère publique et a participé à l’abandon de ces questions. On notera bien entendu que les conférences de la CLASSE ont attiré beaucoup de citoyennes et citoyens, mais ce n’est que peu par rapport au potentiel d’une campagne électorale.


L’absence de ces problématiques dans la sphère publique et dans le débat est une terrible perte pour la société québécoise et pour des centaines de milliers de personnes qui avaient aspiré à un changement profond de notre modèle social, vers plus d’équité et de solidarité. Ces aspirations déçues ont toutes les chances de ne pas être soulevées par qui que ce soit d’autre comme la CLASSE aurait pu le faire (non pas que la CLASSE soit la seule à le faire, mais elle bénéficiait d’un capital politique et médiatique supérieur à toute organisation ces derniers mois).


Ainsi, il y a peu de chances que le débat soit axé sur ces problématiques de fond, et en l’absence de véritables différences (sur ces questions, du moins) entre les trois principaux partis ayant une chance d’être prôches du pouvoir, très peu est à espérer quant à la possibilité de changement sur ces sujets. Il est bien évident que la ‘gauche’ parlementaire n’en sortira pas gagnante non plus.


Finalement, la campagne électorale aura donc eu raison des questionnements de fond qui n’auraient pas dû être ignorés. Et c’est là où le bât blesse : comment peut-on raisonnablement dans une campagne électorale ignorer la question de la redistribution de la richesse et des inégalités sociales? La CLASSE aura donc en partie, sans le vouloir, abandonné sa responsabilité morale de continuer de poser inlassablement ces questions.


Notre rejet du parlementarisme et du système électoral, sans toutefois avoir fait de campagne pour le déligitimer, aura donc mené à notre propre exclusion des débats sociétaux qui auraient dû être soulevés. Il y avait pourtant possibilité de critiquer le système parlementaire et d’amener des idées nouvelles dans ces mêmes élections sans nécessairement prendre position pour un parti. Mais force est de constater que cette perspective stratégique ne pouvait cadrer avec certaines représentations symboliques de pureté politique présentes dans certaines catégories du mouvement étudiant.


Le décalage entre partis politiques et la société civile et ses aspirations n’en sera que renforcé.


Tout n’est toutefois pas fini

L’on pourra tout de même se réconforter en se disant que tout n’est pas fini pour la mobilisation de fond. La grève, qui n’est pas encore finie partout, malgré tout ce que l’on pourra en dire aura mené à une prise de conscience très large de la société face aux politiques néolibérales et antisociales de la droite, doublée d’une radicalisation d’une partie de la base mobilisée de la société.


Elle aura également aussi mis en lumière des dérives autoritaires et liberticides de certains vieux partis de notables, ne nous rassurant pas quant à la santé intellectuelle de ces partis qui ont peur du peuple qu’ils prétendent représenter. Ce “wake up call” est évidemment inquiétant mais nécessaire pour que nous n’abandonnions pas nos libertés dans une paresse sociale un peu trop confortable.


Dans tous les cas, si la grève n’aura pas vu la concrétisation du changement au niveau parlementaire (ce qui paraissait en partie improbable dans tous les cas), il ne faut pas marginaliser le schisme s’étant créé au printemps. L’histoire est en constante évolution et cette mobilisation majeure est probablement un soubresaut de quelque chose de plus profond à l’échelle de l’évolution de la société. Si nous n’avons pas réussi à concrétiser le dépassement du rapport conflictuel dans la dialectique historique, ce n’est que partie remise. Tout vient à point pour qui sait attendre, et surtout, mobiliser, organiser, créer de l’espoir.


L’autre leçon qu’aura amené cette grève pour notre génération et pour la population en général, c’est que contrairement à ce que l’on a voulu nous faire croire par le paradigme dans lequel on nous a enseigné l’histoire, nous ne sommes pas juste des observateurs et observatrices de l’histoire et de l’évolution de la société, nous en sommes acteurs et actrices, déterminants majeurs si nous le souhaitons. Cette prise de conscience est un élément fondamental : nous avons redécouvert ce que nos ancêtres avaient compris bien avant nous : la force de l’action collective et de la solidarité.


Un piège “de la dernière chance” pour le PLQ


Le piège des élections nous a été tendu et, pour le moment, collectivement nous avons échoué à l’éviter. C’était toutefois à prévoir puisqu’il s’agit d’un élément historique pour faire taire les mouvements sociaux d’envergure. Nous étions plusieurs à nous questionner depuis des mois sur la façon de ne pas tomber dans ce piège et à chercher à trouver un moyen de dépasser le parlementarisme. De toute évidence, nous avons été rattrapé-e-s par ces questions sans y amener de réponses convaincantes.


Le Parti libéral savait bien ce qu’il faisait en déclenchant des élections. Après la panique du printemps, il savait qu’il utilisait là sa dernière arme contre notre mouvement. Il devait également se douter que la radicalisation allait mener d’une façon ou d’une autre à la division et à la sortie de la CLASSE de la campagne. Sur ce point, il faut reconnaître que le PLQ a su utiliser sa dernière cartouche au bon moment.


Nous sommes et serons avenir


Prenons-en bonne note pour l’avenir. Tout n’est pas fini. Nous avons pris conscience de notre force collective. Et c’est pourquoi nous sommes avenir. Nous avons construit un mouvement sans précédent. Malgré toute la violence de l’État. Malgré le dénigrement des vieux et jeunes réactionnaires. Malgré le poivre, les bombes, les matraques, les coups, les insultes, le mépris, la boue intellectuelle qui nous ont été lancés. Nous avons continué. Pour quelque chose de mieux, de plus beau, de plus grand. Avec nos tripes et notre espoir. Et si maintenant notre mouvement semble être à l’agonie, il renaîtra, un jour. Les changements sont en marche. Sans la nommer, je pense que nous devons lui rendre hommage.


Nous sommes arrivés à ce qui commence, dit-on.

Montréal, le 13 août 2012.

C'est elle que l'on matraque,

Que l'on poursuit que l'on traque.

C'est elle qui se soulève,

Qui souffre et se met en grève.

C'est elle qu'on emprisonne,

Qu'on trahit qu'on abandonne,

Qui nous donne envie de vivre,

Qui donne envie de la suivre

Jusqu'au bout, jusqu'au bout.


Je voudrais, sans la nommer,

Lui rendre hommage,

Jolie fleur du mois de mai

Ou fruit sauvage,

Une plante bien plantée

Sur ses deux jambes

Et qui trame en liberté

Où bon lui semble.



Autres pistes de réflexion dont nous n’avons pas parlé :



--
Samuel Ragot
Secrétaire général
Association facultaire étudiante de science politique et droit
Représentant étudiant au Conseil d'administration
Université du Québec à Montréal (UQAM)
Téléphone: 514.987.3000 #2632
405 rue Sainte-Catherine Est, H2L 2C4 / Local J-M775
@afesped / @samuelragot / www.afesped.org