Chères-chers camarades,

dans les derniers jours on a beaucoup parlé de la tentative de grève ratée de 2007 qui aurait soit disant été à l'origine d'une démobilisation massive entre 2008 et 2010.  Ayant moi-même pris part à la fois à la GGI de 2005 et à cette tentative de grève en 2007, je tiens à vous partager la perspective que j'ai sur la question.  Je suis d'avis, comme plusieurs personnes, que l'échec de 2007 a été le résultat du ressac de 2005.  Cependant, je ne crois pas que la démobilisation qui a suivi a été le fait d'un échec, mais plutôt qu'on mesurait mal l'effet de creux de vague qui peut suivre une GGI.  

À l'automne 2007, les militants et militantes qui s'étaient donné-e-s corps et âmes pour mener la GGI de 2005 jusqu'au bout, étaient encore présents et présentes sur les campus des universités et des cégeps.  Ce sont ces personnes qui ont tenté de poursuivre la lutte et qui ont travaillé pour mobiliser la communauté étudiante autour de l'enjeu de la gratuité scolaire contre un premier dégel des frais de scolarité par le parti Libéral.  Cependant, cette base militante, radicalisée par l'expérience de la GGI a sans doute mal mesuré les efforts nécessaires pour arriver à mobiliser une population qui n'avait pas encore eu contact avec les enjeux sociaux qui se trouvent au centre de la lutte quotidienne que nous menons ou la fatigue qui était encore présente chez ceux et celles qui avaient vécu la GGI sans entreprendre de parcours militant.  Cet échec a sans doute démoralisé la base militante déjà quelque peu désabusée, mais n'a pas eu d'effet démobilisateur sur l'ensemble du mouvement qui était déjà moribond des suites de la GGI de 2005.  La fatigue post 2005 a fait en sorte que peu de mobilisation a été faite et que personne n'a cherché à renouveler la base militante.  Pourtant, tout le monde s'est surpris lorsque la grève n'a pas pu être déclenchée.  Le mouvement était déjà mort avant 2008, mais les militants et militantes ne s'en rendaient pas compte à force de vivre en vase clos.   Cet échec nous a seulement appris ce que nous aurions déjà dû savoir : une GGI ne construit pas un mouvement durable, c'est le mouvement durable qui peut donner lieu à des vagues de mobilisation.

Le travail de mobilisation et d'information est un travail particulièrement ingrat car il est toujours à refaire.  Il ne faut pas prendre pour acquis que la grève a amené tout le monde à prendre une nouvelle perspective sur la société.  Nous avons eu en tant que militants et militantes l'opportunité de pouvoir passer plusieurs mois à discuter et à réfléchir à la justice sociale et à l'importance de la lutte, mais ce n'est pas le cas de tout le monde.  La prochaine génération militante suivra sans doute le même parcours de réflexion que vous avez vous-mêmes suivi.  Il faut prendre le temps de se rappeler de nos positions personnelles à l'automne 2011 lorsqu'on s'adresse aux nouveaux militants et nouvelles militantes.  Il ne s'agit évidemment pas de faire preuve de paternalisme, ni de faire des compromis sur nos propres positions ; il faut seulement être conscients et conscientes que les efforts que nous avons déjà mis seront à refaire encore et encore.

Je pense cependant que ces efforts ne sont jamais vains.  Nous devons être patients et patientes face à nos propres échecs, car ceux-ci ne nous appartiennent pas complètement.  La démocratie directe c'est aussi d'accepter qu'on ne choisit pas toujours le moment où la mobilisation pourra fonctionner.  On a cependant le devoir de tenter le coup et de donner à nos camarades l'opportunité de choisir s'ils et elles sont prêts et prêtes à lutter.  On a le devoir de soulever le débat, de discuter de la meilleure stratégie de lutte à entreprendre, de planifier la prochaine grève quitte à ce que celle-ci n'ait jamais lieu.

C'est pourquoi je crois que la plus grande question que soulève la récente proposition de GGI de l'AFESH n'est pas si on doit ou non adhérer au principe de celle-ci, car c'est une question qui sera résolue rapidement par les Assemblées Générales.  La plus grande question est plutôt la suivante : comment se fait-il que les GGI nous épuisent et qu'un  seul échec soit capable de mettre en péril notre mobilisation ? 

Nous devons trouver une façon plus saine et plus agréable de militer.  Les groupes militants vivent sans cesse des échecs, cela fait partie du difficile parcours qui nous place systématiquement en opposition avec un système oppresseur, mais l'abandon n'est pas une option.  

Les quelques acquis que nous avons réussi à obtenir au Québec au cours du dernier siècle subissent en ce moment des attaques sans précédent.  C'est pourquoi je participerai autant que possible à la planification d'une grève sociale l'année prochaine.  Peut-être que cette grève n'aura pas lieu, mais pour l'instant nous n'en savons rien.  La seule chose qui est certaine c'est que si nous n'entamons pas le travail, rien ne va se passer.

Solidairement,
Dominique Boisvert