Bonjour à toutes et à tous,

Je soumets ce texte de réflexion en vue du prochain Congrès. Je l'ai copié/collé dans ce courriel-ci, et je l'attache en pièce jointe (pour les notes de bas de page).

Très solidairement,

Benjamin Gingras
Membre de l'AFESH-UQAM

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Texte de réflexion: Un Ultimatum toujours d’actualité

 

               Depuis quelques mois, des voix se sont élevées contre la pertinence du journal officiel de l’ASSÉ, l’Ultimatum. Y sont critiqués, entre autres, un trop grand tirage, des sujets mornes et unidirectionnels et un trop grand contrôle du contenu par les « dirigeants et dirigeantes » de l’ASSÉ. C’est dans cette foulée de critiques qu’une nouvelle plateforme médiatique numérique a été annoncée par des militants et militantes de la région de Montréal, celle-ci voulant être un espace où il y aurait choc d’idées et qui servirait entre autres à remplacer un groupe Facebook supprimé par le Conseil exécutif en début de mandat. En tant que membre du comité Journal et en tant que militant qui se méfie profondément des réseaux sociaux en tant qu’espace de débat politique, j’ai cru pertinent d’écrire ce texte de réflexion (en mon nom personnel) afin de présenter des arguments favorables au maintien d’un journal officiel en format papier.

 

Son histoire et sa raison d’être

D’abord, il me semble important de considérer comment et pourquoi l’ASSÉ s’est dotée d’un journal officiel. Dès le Congrès d’automne en 2001, seulement quelques mois après la fondation de notre association nationale, les associations étudiantes adoptent de créer un journal, bilingue, qui présenterait « l’ASSÉ et les sujets discutés en Congrès et son analyse »[1]. Nous pouvons même encore lire les premières éditions de l’Ultimatum pour comprendre la mission d’un tel journal. Prenons par exemple un extrait d’un article paru dans la toute première édition : « [L’Ultimatum] comprend des articles subjectifs, certes, mais qui ont l'avantage d'offrir des alternatives à l'idéologie dominante et d'en comprendre les fondements plutôt que d'en remâcher les principes dans des articles objectifs.»[2]. Ou encore, dans l’Ultimatum de 2003 : « L'information est à la base d'un réel pouvoir. Par la production d'un journal dont le contenu est déterminé par et pour les étudiantes et étudiants (par la pratique de la démocratie directe en Assemblée Générale), l'ASSÉ se dote d'un outil essentiel à la construction d'un rapport de force! »[3].

Ainsi, il y avait une volonté claire de la part de l’ASSÉ de donner une voix aux revendications, principes et luttes des associations étudiantes telles que manifestées en Congrès, et qui sert à la promotion de ceux-ci à travers le Québec. L’instrument de diffusion de ces positions est donc l’Ultimatum. La grande force de l’Ultimatum était (et est encore) qu’il s’agit d’un journal qui ne s’embourbe pas dans le journalisme de boutique prônant une pseudo-objectivité, mais qui s’affirme ouvertement comme un outil de politisation et de mobilisation. C’est un journal qui offre un contre-discours radical face au pouvoir hégémonique et les médias de masse. C’est aussi une voix importante du Congrès à l’extérieur des cercles médiatiques, où nous n’avons pas le plein contrôle sur comment notre message est diffusé et repris (nous n’avons qu’à voir le traitement médiatique dont nous subissons dans les médias d’information de masse pour voir comment notre message peut être déformé).

Le contenu de l’Ultimatum reflète les priorités établies démocratiquement par les membres de l’ASSÉ et va donc varier selon la conjoncture politique. Nous n’avons qu’à suivre l’évolution des revues annuelles qui se centrent sur la campagne annuelle (que ce soit sur la ZLÉA au début des années 2000, sur l’endettement étudiant en 2005, pour un réinvestissement dans les services publics en 2006, la hausse des frais de scolarité en 2012, l’austérité en 2013, etc.). Il y a effectivement un comité Journal qui existe depuis la fondation de l’ASSÉ qui est responsable de la coordination des publications. Celui-ci est d’ailleurs redevable au Congrès. Le comité a la responsabilité de synthétiser les positions et revendications du Congrès d’une façon qui est intéressante et mobilisatrice et qui, bien évidemment, respecte la volonté du Congrès en tant que tel. Le comité Journal s’entoure de collaborateurs et collaboratrices pour tous les aspects de son travail (écriture d’articles, correction, révision, graphisme, etc.), ce qui permet de décentraliser l’application de son mandat. Je suis toujours particulièrement heureux quand nous pouvons offrir une telle tribune à un ou une membre qui commence son implication dans le mouvement étudiant. La rédaction d’articles en soi joue un rôle de formation politique qui amène les auteur-e-s à organiser leurs idées, à argumenter, et à approfondir certains sujets. Notons aussi que la maquette de la revue est soumise au vote en Conseil de coordination, ce qui offre la possibilité aux Conseils régionaux de formuler des amendements et de faire valoir des points qui auraient pu être oubliés ou négligés par l’équipe du journal. Et bien sûr, le comité Journal, comme j’ai mentionné, est redevable au Congrès et peut donc être rappelé à l’ordre (motion de blâme, destitution) si un aspect quelconque de son travail est mal effectué. La légitimité du contenu de l’Ultimatum provient de la démocratie directe et de la redevabilité des personnes qui sont élues pour y travailler.

En tant que médium qui offre un contre-discours et qui se veut un outil de mobilisation de masse, il s’en suit logiquement que l’Ultimatum s’adresse à la population étudiante au sens large. On pourrait faire l’argument qu’il ne vise pas en premier lieu les personnes les plus mobilisées et/ou les plus radicales au sein d’une association étudiante. Et c’est là l’une de ses grandes forces! L’Ultimatum n’est pas un lieu de débat entre socialistes et anarchistes, ou entre les gens pro-structures et les gens préférant les groupes affinitaires. Comme j’ai dit, l’Ultimatum vise la mobilisation de masse, et s’il était une plateforme de débat entre différentes facettes de l’extrême gauche étudiante (débat qui, entendons-nous, n’intéresse qu’une infime minorité des 80 000 membres de l’ASSÉ), le rôle de mobilisation qui lui a été attribué à sa fondation serait caduc. Un espace de discussion quant aux problématiques existant au sein de la gauche et de l’extrême gauche étudiante pourrait très bien s’implanter, le milieu militant n’étant pas saturé. Cependant, un espace de discussion ne devra jamais remplacer un outil de mobilisation de masse. Ce sont deux raisons d’être différentes.

 

 

 

 

La revue de 2015-2016 : entre le souhait et la réalité

               Le comité Journal de l’ASSÉ a produit une revue annuelle pendant l’été 2015, ce qu’il fait à chaque année selon le thème de la campagne votée par le Congrès. Dans ce cas-ci, c’était clair : grève générale illimitée en solidarité avec la fonction publique, contre la répression, et pour l’implantation des mesures fiscales pouvant augmenter les revenus de l’État québécois de 10 milliards de dollars. Un défi de taille : il revenait à mes collègues et moi de produire un journal qui saurait appuyer autant que possible la tâche colossale de mobilisation que cette campagne impliquait. Bien qu’un journal ne soit qu’un maillon dans le processus de mobilisation, force est d’admettre que la mémoire militante attribue une part importante du succès de la mobilisation menant à la grève générale de 2012 à la qualité de la revue annuelle publiée avant le déclenchement de la GGI. Nous cherchions donc à accoter ce niveau de qualité pour ce qui s’annonçait être un moment difficile de mobilisation, compte tenu de la terre brûlée lors des grèves du printemps 2015. Ainsi, des acteurs et actrices d’une panoplie de milieux ont été approchés pour l’écriture d’articles, dont des professeur-e-s de CÉGEP, un pompier, une infirmière, et une militante judiciarisée de l’Université Concordia. La revue a d’ailleurs été traduite en anglais, ce qui est la première fois à ma connaissance (bien que des journaux proprement dits aient été publiés en anglais par le passé). La revue était inclusive et transversale, porteuse d’un esprit de solidarité syndicale. C’est l’opposé même du corporatisme.

               Beaucoup de revues ont été imprimées et distribuées à travers le Québec. Je réitère: nous étions en campagne de grève générale illimitée, mandat qui nous a été confié par le Congrès annuel en avril 2015. La volonté de publier une grande quantité de journaux a été expliquée dans le courriel contenant la proposition de budget le 4 avril 2015, et pendant la présentation du budget au Congrès en tant que tel. Cela n’était aucunement controversé à ce moment, et les délégations avaient tous les moyens d’amender la proposition de budget et de réduire le montant alloué si elles l’avaient souhaité. Cependant, une fois la revue publiée et distribuée, et les signes d’un désintérêt pour la campagne de GGI étaient très clairs, certaines associations ont dit qu’elles recevaient trop de journaux. Les raisons expliquant le manque d’investissement des associations étudiantes dans la campagne de GGI 2015-2016 mériteraient un tout autre texte de réflexion, mais je vais me contenter de dire que, fondamentalement, dans un syndicalisme combatif, il n’y a jamais trop de tracts ou de journaux, il n’y a simplement pas assez de mobilisation. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’on tente de tisser des solidarités avec les syndicats locaux alliés ou les groupes communautaires près de nos campus : pour un Cégep de 5 000 personnes, 2 000 journaux est loin d’être excessif.

 

Les luttes sociales à l’ère du numérique : gare aux leurres

               Ce qui m’amène au dernier point que j’aimerais aborder, celui du numérique et des réseaux sociaux dans un contexte de mobilisation et de lutte sociale. Il y a des risques extrêmes à miser outre mesure sur une stratégie qui dépend en grande partie des réseaux sociaux. Lorsqu’on partage un texte ou un article et qu’on reçoit beaucoup de « shares » ou de « retweets », nous avons l’impression que notre article circule abondamment. Cependant, la plupart du temps, les algorithmes qui régissent les réseaux sociaux le confinent dans une bulle de public déjà convaincu assez restreinte. Ainsi, puisque nous avons tendance à sélectionner nos ami-es Facebook et compagnie en fonction de si on est préalablement d’accord avec eux et elles ou non, il y a un risque de repli sur soi, voire de sectarisme dans une telle approche. Cela a comme conséquence potentiellement désastreuse de provoquer un désinvestissement du travail de mobilisation de terrain au profit du phénomène de clicktivism, où le contact humain, la confrontation d’idées, le dialogue avec autrui et l’opportunité d’écouter pourquoi telle personne est contre la grève et ainsi être capable de la convaincre d’assister à l’assemblée générale voter pour la grève (par exemple), sont délaissés. Le militantisme par les réseaux sociaux est un oxymore, car ce clicktivism est une stratégie individualisante, contraire à l’action collective. Oui, c’est plus facile de rester entre nous où on est tous et toutes d’accord et de partager des billets de blogue entre nous plutôt que de sortir du local d’asso avec une pile de tracts ou de journaux et aller faire le tour de la cafétéria à l’heure du midi. L’Ultimatum est, s’il n’est rien de plus, un excellent prétexte pour aller voir la population étudiante et leur parler de l’asso et des campagnes en cours. Au moins ils et elles auront un journal intéressant à lire! Les réseaux sociaux, le 2.0 et tout ça, ne remplaceront jamais le contact humain et le dialogue. Ce sont, par contre, des compléments à un travail de mobilisation sur le terrain.

 

             J’aimerais conclure en affirmant que je considère que la gauche radicale bénéficie de la multiplication des espaces médiatiques alternatifs. Cependant, j’objecte sérieusement lorsqu’on compare l’Ultimatum à un journal comme La Pravda (le journal officiel de l’URSS). Un journal comme l’Ultimatum sert à mobiliser et à remettre en question le pouvoir en place. La Pravda cherchait à faire exactement le contraire. Le pouvoir à renverser n’est pas la structure de l’ASSÉ, mais bien le gouvernement et les institutions qui le soutiennent.


               N’oublions pas qui sont nos véritables ennemis.

 

Très solidairement,

 

Benjamin Gingras

Membre du comité Journal de l’ASSÉ (écrivant en son nom propre)

Étudiant en psychologie et membre de l’AFESH-UQAM