Salut toutes et tous, 

J'ai été vraiment heureuse de lire le texte de réflexion qu'a envoyé Myriam sur la liste d'envoi. Je crois que les questions laissées en suspend nous permettent de poser un regard critique sur nous, nos pratiques individuelles, mais aussi nos pratiques en tant que groupe. Je me permets, en ce sens, d'ajouter quelques commentaires d'orde plus général qui, espérons-le, pourraient alimenter la réflexion déjà entamée. 

Tout d'abord, il y a un travail à faire en ce qui concerne la pression mise sur nous-même (culte de la performance). Trop souvent, l'épuisement et la dépression sont des signes de «faiblesse» (et font parfois l'objet de jugements) et se retirer des milieux implique parfois une perte de sentiment d'appartenance. En toute bonne foi, nous essayons de s'impliquer dans le plus de choses possibles et, lorsque nous manquons une réunion, la culpabilité pèse sur nous. La lourdeur de cette culpabilité et le désir d'être partout nous poussent parfois à se dévaloriser ou penser que nous ne sommes pas de «vrai-es» militant-es, que nous sommes poches, faibles etc. Nous en arrivons, dès lors, à se comparer aux autres, à se mettre un excès de pression et à se hiérarchiser entre nous alors que ça ne devrait pas être le cas.

Je crois qu'il faut se rappeler que nous faisons ce que nous pouvons: que nous militons en plus de travailler, d'étudier, de s'occuper de nos enfants ou de nos proches. Se retirer, prendre en charge moins de tâches, manquer des réunions n'est pas un signe de faiblesse (même en temps de grande mobilisation), et il faut se le rappeler collectivement.

Il y a aussi de phénomène des cliques, normale certes, mais qui demanderait une réflexion tout de même. C'est normal que des évènements tels que la grève, des actions, des comités ou des intérêts communs permettent de former des amitiés et alliances fortes, car ce que nous vivons ensemble, ce que nous partageons, devient d'autant plus compréhensible et rassurant quand on le vit en groupe. Les liens de confiance se tissent et les expériences communes sont importantes.
Ce que j'ai pu voir, cependant, c'est que ces amitiés ou alliances incarnent parfois des jougs quant à l'implication des plus jeunes. Ne serait-ce que parce que c'est intimidant de voir une gang autour d'une table de mob, ou parce que les insides et rires se font entendre lors des réunions: ce ne sont pas des mauvaises choses, on s'entend, reste que parfois, ceci peut paraître comme un environnement inaccessible pour les nouvelles et nouveaux - un milieu exclusif. 

Finalement, être militant-e demande beaucoup de choses. Il faut à la fois maîtriser l'argumentaire, mobiliser et vulgariser (surtout si on veut rendre accessible le mouvement), mais aussi détenir une culture de la sécurité qui repose à la fois sur la responsabilité individuelle et collective. Lorsqu'on commence, ces aspects ne viennent pas en un package deal, ils n'arrivent pas du jour au lendemain parce qu'on a assisté à une réunion. Comme le souligne Myriam, il faut retrouver cette culture de transmission du savoir, où la parole des ancien-nes doit être prise en considération tout en étant à l'écoute de ce que les nouvelles-eaux ont à apporter. Or, il faut éviter toute dynamique paternaliste ou trop contrôlante, sans toutefois faire sourde oreille aux conseils qu'apportent les personnes qui militent depuis des années, qui connaissent les dynamiques de campus et qui sont peut-être plus sensible aux dangers. Ainsi, il faut partager, et non dicter: il faut écouter tout en étant critique, notamment lorsque nous voyons des dynamiques de pouvoir nocives s'installer entre militant-es (chose bien réelle pouvant laisser place à une gamme de problèmes d'abus de pouvoir, de confiance et un fétichisme des cultes de personnalité). 

De plus, j'ai l'impression que nous étions beaucoup à croire que, étant donné l'omniprésence de mauvaises nouvelles socioéconomiques et les coupures annoncées à tous les jours dans les médias, que la mobilisation irait de soi: qu'il s'agirait d'un soulèvement populaire rapide parce que toutes et tous sont concerné-es; que la mobilisation au sein des institutions scolaires serait facile - plus facile qu'en 2011 car le vécu (post-grève) est partagé, mais tout ceci s'est avéré plus complexe finalement. Aussi, reste qu'il y a une différence entre une association qui vote une journée de grève et une association qui travaille collectivement pour s'assurer que tous ses membres sont informé-es et équipé-es pour prendre part à un mouvement populaire (un mouvement qui inclue, entre autres, des personnes qui étaient au secondaire en 2012, par exemple).

Sur ce, comme l'écrivait la féministe Audre Lorde, Caring for myself is not self-indulgence, it is self-preservation, and that is an act of political warfare, ce qui se traduit maladroitement en notre bien-être, le temps que nous (devons) prendre pour nous est le prix à payer pour le militantisme que nous effectuons et les luttes que nous menons. On pourrait effectivement opter pour des groupes de soutient et des ateliers sur le Care, mais j'ai pu voir dans le passé que l'épuisement étant à son apogé, empêchait les militant-es de venir investir ces espaces, et les personnes qui animaient étaient elles aussi dans des situations de grande fatigue (physique, intellectuelle, psychologique etc). Une autre dynamique problématique, les quelques fois où il était question de Care, c'est que cela incombait aux femmes de gérer la tâche - cette socialisation malgré nous qui naturalise les soins comme un rôle féminin, alors que ce rôle appartient à tous et toutes. 

Nous devons réfléchir collectivement comment on peut arriver à se soigner entre nous et pour nous. Nous avons la dure tâche de dépenser notre énergie en militant tout en tentant de trouver des moyens de renouveler notre énergie pour notre santé individuelle, mais aussi pour la santé du groupe. 

Ce texte est un peu disparate, j'en conviens, mais je tenais aussi à partager des craintes/émettre des commentaires dans le but de travailler vers un mouvement plus fort.

Solidarité,

Aleksandra P.

Le 12 novembre 2014 17:31, Myriam Tardif <leroidesmots@hotmail.com> a écrit :

Un flop monumental


Bon, je suis surprise que personne ne l’ait fait avant moi, mais je pense que c’est une discussion qui doit sortir des corridors et doit devenir une discussion importante du futur mouvement « Printemps2015 », si on ne veut pas que celui-ci se résolve de la même manière que notre journée d’action nationale ; comme un flop monumental. Il y avait une journée de grève aujourd’hui en lien avec la Journée d’action nationale. Deux actions de perturbations étaient appelées ce matin, une autre à 15h et une manifestation ce soir, qui n’a pas encore eu lieu. De ce que j’en sais, les trois actions de la journée n’ont pas pu atteindre leurs objectifs et ont été la cible d’une répression féroce, allant même jusqu’à l’entrée de la police dans l’UQAM. J’ai eu envie d’écrire ce texte, parce que les problèmes auxquels on a fait face aujourd’hui sont exemplaires de problématiques qui se répètent depuis plusieurs mois.


L’idée de ce texte n’est pas de définir le fait que cette journée ait été un flop ou non, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de débats là-dessus. La question serait plutôt; n’est-il pas non-stratégique de le présenter comme un flop? Démobilisateur? Je pense qu’au contraire, le fait de tenir des actions de ce genre qui contribue à la ‘démobilisation’ d’un mouvement, et c’est pourquoi les problèmes organisationnels auxquels nous sommes confrontés doivent être attaqués de plein fouet. Qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui (et depuis plusieurs mois, oserais-je m’avancer)?


Je ne viens pas proclamer que j’ai raison et que d’autres ont tort, que « je sais comment faire » et que d’autres ne le savent pas encore. Mon objectif est d’attirer l’attention des militantes et militants sur l’importance de réfléchir sur nos moyens d’action et nos stratégies d’organisation. Le travail que vous faites, que nous faisons, est trop important pour ne pas y porter plus d’attention, de care.  


Parce que toute action n’est pas bonne en soi. Et je ne pense pas que le barème d’évaluation de cette action soit son « succès » ou son « échec ». Les échecs d’aujourd’hui sont selon moi beaucoup plus de l’ordre de l’organisation de ces actions. Les processus collectifs d’organisation et de préparation sont essentiels, et probablement aussi importants que le résultat.

Il n’est pas suffisant de proclamer discursivement que nous sommes des guerrières et des guerriers, des loups et des louves. La socialisation capitaliste (ou appelons-la comme on veut) est beaucoup plus profonde que ça. On devient guerrière et guerrier par la pratique, par la formation, par le transfert des connaissances des pairs, dans la matérialité. C’est en s’engageant dans les processus d’organisation d’actions qu’on devient meilleur.e.s.


Évidemment, après la grève, il y a eu une coupure générationnelle radicale qui a empêché un certain transfert de connaissances pratiques. Que ce soit à cause de la criminalisation de centaines de militantes et militants qui ont dû se retirer de certaines sphères de la lutte, que ce soit la détresse émotionnelle, la fatigue, les burn-outs, ou tout simplement, la roue des changements de cohortes, faisant en sorte que les générations scolaires se renouvellent.


Mais pas seulement, la culture du secret, qui bien qu’essentielle à plusieurs niveaux, empêche la mise en relation et l’accueil de nouveaux militants et de nouvelles militantes dans les cercles organisationnels et bloque le transfert de connaissance. Et voilà, ils et elles doivent réapprendre de la base et ça prendre encore plusieurs années avant que la roue réapprenne à tourner (parce qu’elle finira par y arriver d’elle-même tôt ou tard…).


Ce qui nous laisse dans un contexte assez problématique qui nous donne l’impression que les militants et militantes se reposent sur une pensée magique à la « 2012 » où on pense qu’une couple de tracts et un événement Facebook sont suffisants pour organiser une action d’envergure qui permettra de perturber le capital. On n’a pas de plan B quand y’a juste 100 personnes qui se pointent à notre action qui en prenait 500, on connait mal les lieux, personne ne sait exactement ce qui se passe… Il y a une grosse différence entre « y’en a pas de leaders / y’en a pas de pouvoir » et le partage intentionnel du pouvoir. Comme on apprend à devenir des meilleurs activistes, on apprend à être des meilleurs stratèges de l’action directe. Je crois qu’une clé de cette problématique est la fortification des réseaux et l’intentionnalité dans le partage des tâches d’organisation. Est-ce qu’on s’attend vraiment à ce qu’un événement Facebook convainque des milliers de personnes « out of the blue » (sans contexte large de mobilisation sociale, sans grève générale) de mettre leur sécurité et leur confort à risque pour venir se lancer dans une action dont illes ne connaissent ni la nature, ni les risques, ni les conséquences… Ce n’est pas nécessaire que tout le monde connaisse les identités des organisateurs et organisatrices, mais il y a des échelles entre tout et rien.


Qu’est-ce qu’on fait quand la peur et la colère nous tiraille devant des ennemi.e.s qui sont de plus en plus fortes et forts, de mieux en mieux organisé ? Ben on s’organise davantage et on renforce les liens et les réseaux des militants et les militantes du mouvement social qu’on essaie de lancer! On doit se prendre au sérieux, et les prendre eux et elles aussi au sérieux et mettre plus de care dans notre organisation collective. Et surtout, on doit comprendre les contextes historiques et politiques passés, s’en inspirer, apprendre des bons coups et des erreurs, sinon nous serons condamnés à revoir les mêmes erreurs faciles se reproduire avec le renouveau des cohortes militantes…


Nous devons organiser des discussions collectives sur les tactiques et stratégies d’organisation, des tactiques de lutte (la CLAC organise un atelier semblable le 29 novembre), et de sécurité, que ce soit dans nos organisations, groupes affinitaires ou autres. Je crois que cette tâche de formation et d’organisation de formations incombe largement à l’exécutif national de l’ASSÉ et aux exécutifs des associations étudiantes. C’est le meilleur moyen selon moi de participer à la création d’un mouvement large et efficace.


J’espère que ce texte saura provoquer le désir de questionner le contexte actuel et nos pratiques, et saura ramener l’importance du care et de l’intentionnalité dans l’organisation d’actions.

Myriam 


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