Force étudiante critique à la dérive

Force Étudiante Critique a été fondée sur des prémisses claires : seul un mouvement étudiant combatif, démocratique et indépendant de l'État pourra mener une campagne de grève générale illimitée à la victoire. Le groupe publie son premier pamphlet à plus de 1000 exemplaires lors de manifestation du 6 décembre 2010 à Québec. Cette démarche visait à poser plusieurs questions fondamentales sur les problèmes qu'avait alors l'ASSÉ à mettre en pratique un réel syndicalisme de combat. Bien qu'on peut être en désaccord avec l'analyse du dit texte, la démarche a porté fruit et a permis d'engager des débats importants au sein des associations membres de l'ASSÉ. Les constats posés par les « Bases préliminaires pour une GGI victorieuse » ont été discutés un peu partout et plusieurs ont été pris bien au sérieux.

Plusieurs des critiques ainsi amenés ont amélioré l'état du mouvement. L'exécutif de l'ASSÉ fait plus de travail de terrain que jamais, les comités de mobilisation sont à plusieurs endroits à leur dynamisme le plus élevé depuis 2007, les assemblées générales sont populeuses et débattent réellement de la lutte à venir, de grève générale et des autres questions d'ordre stratégique. Il reste encore du travail à faire, car les pratiques démocratiques et combatives sont toujours perfectibles, mais tout indique que la combativité et la démocratie au sein de l'ASSÉ sont sur une pente ascendante depuis décembre 2010.

Mais FEC n'a pas pris note de ces modifications, car ses membres ont également des idées bien arrêtées sur d'autres sujets tels que la collaboration avec fédérations étudiantes, l'utilisation du carré rouge, la stratégie médiatique, ou encore la participation du mouvement étudiant à la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics. Lorsque les assemblées générales ne votent pas des positions qui sont conformes avec leur propre point de vue, ils se réfugient derrière leur critique des lacunes démocratique pour délégitimer les décisions et pousser unilatéralement leur propre agenda politique. Et c'est là que toute la pertinence potentielle de FEC s'épuise. C'est ainsi que la dérive commence.

Sur la manifestation du 10 novembre...

L'exemple le plus flagrant est celui de la collaboration avec la FECQ et la FEUQ dans le cadre de la manifestation du 10 novembre. L'idée de cette manifestation a émergé à l'hiver 2011. Certes, l'idée d'une telle manifestation a été lancée par l'exécutif de l'ASSÉ. Toutefois, au congrès annuel, quelques associations étudiantes (on note l'AECCSP et le cégep de Lionel-Groulx dans le cahier de préparation) avaient déjà entamé des discussions à l'interne à ce sujet. Comme la plupart des délégations n'avaient pas de mandats, la décision a été reportée pour laisser le temps aux débats de se faire en assemblée générale. Au lieu de tenter d'amener le débat à la base suite à cela, FEC a préféré publier son nouveau texte intitulé « Sur les traces de la collaboration » au Rassemblement national étudiant (instance qui ne regroupait pratiquement seulement des exécutant-e-s). Le débat a repris en automne. Les assemblées générales furent à bien des endroits les plus populeuses qu'on ait vu depuis longtemps. La question de la manifestation conjointe a été discutée dans deux congrès subséquents de l'ASSÉ entre lesquels il y a eu des assemblées générales dans la plupart des associations et qui ont discuté de la question. Le processus démocratique qui consiste à faire des aller-retour entre les assemblées générales et les congrès n'est certes pas parfait, car le syndicalisme étudiant doit composé avec des contraintes réelles : les étudiant-e-s travaillent, le niveau de politisation est très inégal, les structures internes découragent parfois la tenue d'assemblées générales fréquentes, etc… mais les membres de FEC connaissent très bien ces limites. La démocratie syndicale s'inscrit dans ses limites et le débat entourant la manifestation conjointe a été exemplaire en terme de transparence et de participation de la base. Il s'est étalé sur trois congrès, pendant plus de 3 mois de « jours ouvrables d'école », de multiples assemblées ont eu lieu dans la plupart des associations étudiantes et le débat s'est installé dans la plupart des discussions de bar, de locaux d'associations, de comités de mobilisation, de conseils exécutifs et de pans entiers de murs facebook.

Mais voilà que la décision prise démocratiquement par les assemblées générales ne plaît pas à Force Étudiante Critique. Les tenants de la démocratie directe sont alors prêts à renier leurs propres principes pour défendre leur ligne politique de non-collaboration avec la FECQ et la FEUQ. Au diable la base. FEC décide de s'allier avec le comité de mobilisation du Cégep du Vieux-Montréal pour s'attaquer à la manifestation commune. Que des milliers d'étudiant-e-s à travers le Québec ait voulu de cette manifestation telle qu’elle se présente ne leur est alors d'aucune valeur. La ligne de non-collaboration de FEC prime sur le respect de la souveraineté des assemblées générales, cependant il est tout à fait légitime, dans leur perspective, de s'attaquer à cette collaboration.

C'est dans ce contexte que des membres de FEC se sont présenté-e-s au comité de mobilisation de l'AGECVM et ont élaboré l'action de dénonciation. La nature de cette action démontre, une fois de plus, l'éloignement entre les positions adoptées aujourd'hui et le sens propositions passées. FEC proposait au départ une critique intéressante des médias et de leur utilisation dans la lutte. Effectivement, la combativité d'un mouvement et son autonomie ne peuvent être garanties que si celui-ci établi sa stratégie sur l'établissement d'un rapport de force réel, d'une mobilisation tangible et communique avec ses composantes par ses propres moyens. Les médias doivent être considérés comme un outil parmi d'autres et toute apparition dans les médias doit se baser sur les assises bien réelles d'un mouvement vivant. Mais voilà que le point central de l'action de dénonciation de l'alliance ASSÉ-FECQ-FEUQ est la perturbation du point de presse de la manifestation dans l'optique d'être « bien visible pour les caméras ».

Une telle action est à la fois illégitime et contreproductive, tant dans le cadre de la lutte générale contre la hausse des frais de scolarité que pour les objectifs de FEC qui sont de bâtir un mouvement combatif et démocratique. La perturbation d'un point de presse n'aura pratiquement aucune visibilité directe au sein de la manifestation. Il n'y aura aucune confrontation d'idées directe parmi les manifestant-e-s sur cette question. Ce qui sera visible d'une telle perturbation, c'est ce qui en ressortira dans les médias. Or, les médias s'empareront immédiatement d'un tel acte pour occulter la mobilisation réelle que représente cette manifestation. Ce n'est qu'en retournant chez eux que les dizaines de milliers de grévistes pourront voir en gros titre « Manifestation dans la discorde ». FEC sait très bien que la critique de la collaboration ASSÉ-FECQ-FEUQ ne sera pas relayée dans les médias, seulement son spectacle. Quels débats s'attend-t-on à provoquer? Qui croit-on mobiliser? Quelle critique émergera vraiment d'une telle action? Pour les milliers d'étudiant-e-s qui en sont à leur première manifestation et qui n'ont encore aucune critique du rôle des médias, ce ne sera qu'un sentiment de défaite que FEC aura réussit à stimuler. Leurs parents, leurs ami-e-s non-étudiant-e-s ou bien ceux et celles qui sont contre la grève pourront leur dire : « Hey, ta grève pi ta manif, ça l'a servi à rien. Vous avez juste eu l'air cave à vous battre entre vous! » La manifestation pour laquelle ils ont sacrifié une journée complète, et pour laquelle ils ont consenti à devenir des grévistes, sera perçue par leur entourage comme un échec. On peut être critique du rôle des médias et de l'utilisation qu'on peut en faire, mais on ne peut nier leur impact. Comment peut-on espérer rallier des dizaines de milliers de personnes à une grève générale illimitée si on peine à les convaincre de la pertinence de manifester?

De plus, une telle action risque de nuire considérablement à l'ensemble des tendances critiques du concertationisme des fédérations étudiantes. FEC n'a pas le monopole de cette critique : l'ASSÉ reste globalement critique des méthodes traditionnelles de la FECQ et de la FEUQ. Or, si une telle action a bel et bien lieu, c'est toutes les tendances critiques des fédérations qui seront discréditées dans les assemblées générales locales. Les critiques de la collaboration seront perçu-e-s comme ceux et celles qui ont fait chier la manifestation la plus populeuse du mouvement étudiant depuis 2005. La meilleure façon de se mettre à dos la base, c'est d'aller à l'encontre de ce pour quoi elle a voté. Après ça, que l'on soit membre de Force Étudiante Critique ou non, il sera extrêmement difficile de défendre une position critique de la concertation sans être automatiquement associé à la gang qui a trashé la manifestation du 10 novembre.

Perspectives d'avenir pour FEC...


FEC a encore une critique pertinente à porter. Il ne suffit pas de formuler une critique et de grands principes pour avoir un impact positif sur le mouvement, il faut également travailler au quotidien pour mettre en œuvre la critique et savoir rester conforme à ses propres propos. Depuis la création de FEC, plusieurs de ses membres ont été tout sauf actifs et actives au sein du mouvement étudiant, d'autres ont préféré porter leur discours directement au « sommet » en investissant les comités de travail de l'ASSÉ et en monopolisant la tribune lors des congrès de l'ASSÉ plutôt que d'effectuer le long, ardu, mais nécessaire travail de mobilisation à la base. Mis à part les « Bases préliminaires pour une GGI victorieuse » et le très succinct « Saute-mouton », les membres de FEC n'ont pas été capables de mobiliser pour diffuser leurs critiques auprès de la population étudiante. Certes, la pertinence de la critique de FEC n'est pas proportionnelle à la dévotion de ses membres, mais l'incapacité des membres de FEC à appliquer le programme qu'ils prescrivent nuit grandement à la crédibilité de leur critique. La démocratie directe et la combativité ne vont pas de soi. Pour en défendre les principes, il faut pouvoir démontrer que ce sont des principes applicables et que nous sommes capables d'en montrer l'exemple. Dans une société inégalitaire, antidémocratique et pacifiée, le fardeau de la preuve repose sur nos épaules. Si nous sommes incapables de mettre en œuvre nos principes, comment espérer convaincre les autres d'en faire plus?

Si les membres de FEC souhaitent susciter un débat sain et constructif sur la collaboration avec les fédérations étudiantes, alors il n'y a pas de recette magique, ni de raccourci. Il faut diffuser massivement du matériel d'information de qualité et il faut prendre le temps d'amener le débat dans toutes les associations locales. Ce n'est pas en sabotant la visibilité médiatique d'une manifestation pour laquelle des centaines d'étudiant-e-s ont travaillé pendant des mois que FEC réussira a se faire des allié-e-s.

Solidairement,
- Alain Savard