Bonjour,
Je vous propose un texte de réflexion. Si vous avez des commentaires ou des critiques,
n’hésitez pas à sortir vos plumes et à rédiger votre propre texte.
Solidairement,
Samuel-Élie Lesage
*
SUR FACEBOOK ET LA MOBILISATION
Ce texte de réflexion s’inscrit dans la foulée de nombreux autres qui ont été écrits par
des militant‑e‑s, notamment ceux de Myriam Tardif, Alexandra Pelletier et Angéline
Desaulniers, ainsi que celui co-écrits par Maude Authier-Pigeon, Aude St‑Martin et Xavier
Dandavino (vous m’excuserez si j’ai oublié d’autres personnes) et partage un certain
malaise que d’autres personnes ressentent également quant à l’état actuel de la
mobilisation étudiante contre les politiques d’austérité.
Les réseaux sociaux sont-ils une simple copie du réel ? Un espace virtuel neutre et
innocent reproduisant à petite échelle les relations sociales que nous vivons
quotidiennement ?
Redoutable question s’il en est une, à laquelle je n’aurai pas la prétention de fournir
une réponse ici. Plutôt, j’aimerais questionner les rapports entre les réseaux sociaux et
les pratiques militantes au sein du mouvement étudiant.
Qui est là pour nier les possibilités incroyables de mobilisation qu’offrent Internet et
les réseaux sociaux ? On se rappellera qu’au temps de la grève de 2012, les réseaux
sociaux avaient été des outils puissants de mobilisation. Pensons aux appels pour
participer à des manifestations, au partage d’articles et de nouvelles de la dernière
heure, aux communications immédiates avec des militant-e-s et des organisations à travers
le Québec et même aux memes sur l’humour de Jean Charest ou les tweets de Martineau, il
est indéniable que les réseaux sociaux ont contribué à forger la grève étudiante et à lui
donner son identité. Quand viendra le moment d’une prochaine grève, qu’elle soit étudiante
ou sociale, soyons certain-e-s que les réseaux sociaux seront appelés à jouer à nouveau à
un rôle importante.
Cependant, il semble que nous n’avons pas pris la peine de réfléchir dans une perspective
militante sur le rôle des réseaux sociaux dans nos pratiques. Suffit-il d’un évènement
Facebook pour inviter la population à une action de perturbation ? Doit-on présumer que
tout le monde soit scotché sur son écran d’ordinateur ou sur son téléphone intelligent
pour suivre les dernières tendances du syndicalisme de combat 2.0 ? S’il est indéniable
que les réseaux sociaux puissent être de puissants outils de mobilisation, il me semble
toutefois que ces outils sont les plus efficaces quand il y a une mobilisation effective
sur le terrain. On peut faire du magnifique graphisme, écrire un texte qui appelle à la
grève sauvage avec toute la juste colère et le diffuser en masse sur dans les réseaux
sociaux, il reste que si les gens ne se sentent pas concernées, il est normal qu’elles ne
passeront pas à l’action. À cet effet, il est dangereux de se concentrer sur les réseaux
sociaux quand le contenu qui y est partagé est publié sur un pied d’égalité avec des gif
de chats ou des compilations des fails du mois.
Il n’est pas sûr que la population soit au courant des enjeux concernant l’austérité, ni
qu’elle possède les moyens de comprendre comment les politiques néolibérales du
gouvernement l’affectent, et encore moins qu’elles puissent du jour au lendemain
développer un discours critique prêt à la grève sociale. Si on ne veut pas être 100, mais
bien 100 000 à hurler comme des loups et des louves dans une prochaine manifestation, un
travail de terrain doit être fait, et ce travail ne peut se limiter qu’à la sphère des
réseaux sociaux.
Surement, on me taxera d’être de mauvaise foi. Après tout, ne peut-on pas justement
communiquer ces informations sur les réseaux ? N’est-ce pas un endroit où on peut tenir un
débat qui, dans la vraie vie, aurait été impossible ? Et surtout, les réseaux ne nous
permettraient-ils pas d’éviter certaines lourdeurs inhérentes à tout dialogue, de passer
outre la lenteur des structures, d’aller straight to the point ? Suffit-il d’avoir les
bonnes valeurs et d’investir le champ du cyberespace pour retrouver des profils tout
autant rationnels que nous et engager un processus révolutionnaire ? Oui ! Sans aucun
doute ! N’hésitons plus alors à retourner devant l’ordinateur et à se jeter dans le débat.
La discussion sera torride, longue, infinie. Chacun aura son opinion à exprimer et un
espace de quelques centaines de caractères pour l’exprimer. Tout le monde est constamment
invité à y participer par d’incessantes notifications qui nous rappellent que la
démocratie directe se passe live dans le cyberespace. Chaque participant-e de la
discussion n’a devant soi que la photo du profil d’autrui : excellente manière de préjuger
des intentions et des opinions d’autrui et de se fermer d’avance au débat. Et puis, ca
débat tellement fort, plus personne ne sait à qui s’adressait le précédent commentaire. Si
une personne se fait attaquer personnellement ou qu’elle se sente intimidée par
l’utilisation d’un langage oppressant, conséquence inévitable de l’autogestion virtuelle,
la seule riposte qui lui reste est de lâcher prise et de se déconnecter de l’écran – un
garant fort et efficace du respect d’autrui et de la légitimité démocratique. Quant à
l’issue du débat, celle-ci se résume à une virile guerre de « like », et en arrivant au
prochain Congrès, rien n’aura évolué depuis. En d'autres mots, est-ce que les réseaux
sociaux et forum de discussion ont des effets sains sur les débats en instance ?
Les réseaux sociaux auront réussi à créer d’improbables militant-e-s ermites de masse.
Tous et toutes rivé-e-s à l’écran, les réseaux sociaux ont pour conséquence de nous
désolidariser du monde tout en nous connectant à celui-ci. Il ne suffit pas d’avoir 400
ami-e-s, d’aimer 50 pages de revendications radicales et de participer à 10 groupes de
discussion quand tout cela ne fait que conforter mes propres positions et m’empêchent de
véritablement dialoguer avec autrui.
Le constat est le suivant : à force d’investir l’univers des réseaux sociaux, on délaisse
celui de la mobilisation et des structures en place. Quel est le rôle de ces dernières ?
Précisément celui d’assurer la légitimité et la souveraineté absolue de la démocratie
directe. Sans procédures, sans quorum, sans gardien ou gardienne du senti, sans animateur
ou animatrice, sans le travail des comités de travail ou de l’exécutif, sans l’énergie
investie par les comités locaux et les groupes affinitaires, sans la participation massive
des délégations, le Congrès n’aurait tout simplement pas lieu, et l’ASSÉ n’existerait pas.
Pour que ces structures tiennent et fonctionnent, le travail de mobilisation est
essentiel. Or, il semble y avoir eu un déficit de mobilisation depuis l’automne, et on
utilise les réseaux sociaux comme si le réel s’imposait de lui-même et qu’il suffisait de
lancer l’appel par le biais de la tweetosphère pour qu’il soit répondu par les masses. Pas
étonnant alors qu’on discrédite encore davantage les structures de l’ASSÉ et qu’on utilise
des mediums foireux pour tenir des critiques envers cette dernière. Je ne défend pas une
position du genre « structures ou barbarie », mais celles-ci restent essentielles si nous
voulons apporter des critiques qui améliorent le travail de l’ASSÉ : autant elles donnent
la légitimité à la critique en ouvrant un espace qu’on peut investir d’un discours
rigoureux et profond qu’elles garantissent la légitimité politique des discussions et
permettent des échanges inclusifs et respectueux.
La tendance doit être renversée. Il faut réinvestir nos énergies à construire des discours
rigoureux, inspirants et percutants. Il faut sortir de nos zones de confort et aller de
nous-mêmes rencontrer la population. Il faut s’assurer que notre message soit bien
vulgarisé, que nous donnons aux gens les moyens de reprendre notre discours et de
l’adapter à leur réalité afin que celles-ci puissent à leur tour mobiliser leur milieu. Il
faut aussi réinvestir nos instances, comme le Conseil central qui est en manque criant
d’amour ces temps-ci, et reprendre l’habitude d’écrire des textes de réflexion pour les
envoyer sur ASSÉ-Support. Il ne faut pas avoir peur d’amener des critiques constructives
et importantes au sein des instances, et il ne faut pas non plus avoir peur d’y répondre.
Il faut finalement prendre le temps de quitter nos campus et rencontrer d’autres membres,
explorer les réalités locales et les spécificités de chaque membre de l’ASSÉ, des
différences que les réseaux sociaux ont bien trop tendance à niveler et à faire
disparaître.
Les réseaux sociaux peuvent jouer à cet effet un rôle crucial avec des répercussions
positives insoupçonnées. Mais s’il est vrai qu’un certain momentum semble se dessiner vers
le printemps prochain et qu’il serait bête de le manquer, s’il est vrai que les faits
hurlent, de grâce, ça ne justifie pas d’investir autant d’énergies et de passion sur les
internets !