Pour aller dans le même sens que Keena, j'aimerais d'abord commencer par un
*mea culpa* bien personnel, car une responsabilité collective en Congrès
pèse aussi sur les délégué-e-s, dont j'ai récemment fait partie. Je me suis
senti "fautif" en un sens après le Congrès, et si via l'AFESH nous avons
émis des blâmes, je serais également prêt à en recevoir et à faire amende
honorable, même si parfois ce qu'on fait dans l'immédiat nous dépasse.
Si le Congrès est devenu de moins en moins un reflet de la grève au jour le
jour, ni même l'espace de réflexion collective que permettrait la synthèse
des points de vue d'un peut partout au Québec, c'est peut-être dû à une
conjonction de facteurs, dont on peut plus ou moins se dire responsables :
- *Fatigue *accrue par des semaines de luttes et des fins de semaine qui
enfilent Congrès sur Congrès;
- Des problèmes dans la vie privée -- délaissée au profit du mouvement
-- se répercutent, pour plusieurs personnes, dans leur vie militante, ce
qu'il serait bien difficile d'éviter !
- Le besoin de se reposer coïncide insidieusement avec la nécessité
d'être plus assidu-e-s que jamais, et l'ampleur de la tâche
"d'organisation" devant nous nécessite une prise en compte de la
complexité
(voire du chaos) qui peut être difficile à appréhender et à réfléchir
"stratégiquement";
- *Incertitude *liée à la perte momentanée des repères habituels des
mouvements de grève, par rapport à la "durée de la grève" (si on compte la
relâche, dans lequel nous n'avons pas chômé, à l'AFESH nous entrons dans
notre neuvième semaine);
- *Perte de repères* pour plusieur-e-s qui n'ont jamais été face à face
avec l'élaboration d'une stratégie d'escalade des moyens de pression au
delà de ce que nous avons déjà fait. Il faut quand même dire cette vérité
victorieuse mais intimidante : qu'est-ce qu'on fait quand on a déjà le plus
gros mouvement de grève étudiante (en nombre absolu), déjà eu la plus
grosse manif de l'histoire de la province, déjà élargi la grève dans des
contrées jamais essayées ? Au delà des actions de perturbations, qu'on
n'organise pas étroitement en Congrès, que pouvons nous faire de plus tout
en évitant de sombrer dans une explosion de judiciarisation, d'amendes et
de frais d'avocats ? J'ai l'impression qu'il va falloir repousser une
frontière et s'inspirer de mouvements plus reculés dans le temps que 2005,
ou encore ailleurs dans le monde pour y arriver.
La vérité, c'est qu'en ce moment je n'ai aucune "carte mentale"
claire
m'indiquant ce qui s'en vient, et je suis sûr et certain que d'autres
ressentent la même chose. Certains soucis s'imposent tout de même :
- Au delà des technicalités liées aux injonctions -- et à la tentative
de plus en plus généralisée de la part de nos ennemi-e-s politiques d'en
découdre par avocats interposés -- quel sera leur impact global, leur
ampleur ? Doit-on s'en soucier réellement ?
- Le pseudo-RPR peut être discrédité selon les AGs avec plus ou moins de
facilité il me semble, et il semble que nous ayons déjà relevé certains
défis à cet égard, j'ai l'impression que c'est davantage l'usure qui
risque
d'amener à des non-reconductions que l'attrait du récent décret. En fait,
le fait que la ministre ait donné l'impression de "céder", même si
c'est à
côté de la plaque, me semble être un signe d'espoir plutôt que l'inverse;
- La question de l'annulation de la session et, plus globalement,
l'intensification du caractère perturbateur de la grève sur les
"sessions"
est un couteau à double tranchant que l'on a bien réussi à saisir des mains
des administrations et de la ministre pour le retourner contre elles. Cela
dit, il faudrait s'interroger sur le niveau de désespoir ou de crainte que
les membres des associations pourraient éprouver à l'idée d'annuler leur
session, même si cette idée ne s'avérait être qu'un mythe.
Sur le troisième point, un rayon d'espoir venant tout droit de 1973 m'a
frappé hier grâce aux camarades de Saint-Laurent :
*La seule annulation de session de l'histoire du Québec* s'est produite
lors d'une sorte de grève des profs en 1973 qui n'était pas vraiment une
grève où on l'entend d'habitude. Il s'agissait d'un mouvement national de
"gel des cours" de plusieurs semaines avec une sorte d'enseignement
alternatif avec aide individualisée. À Saint-Laurent, ce moyen de pression
des profs aurait pris la forme d'un "on répète le même cours" (selon
ce document
d'histoire du Syndicat des profs du Cégep de
Maisonneuve<http://www.sppcm.org/documents/special_40_ans/special_40ans_…)
: «*À Saint-Laurent en particulier, les profs ont voté un « gel de cours »
: ils se présentent en classe, et répètent le cours précédent — ad nauseam.*»
Le "mouvement national" a duré 2-3 semaines dans près d'une vingtaine de
Cégeps, mais six semaines à Saint-Laurent.
Un livre a été écrit sur le sujet, m'a-t-on dit, livre qu'il faudrait
retrouver. Les camarades m'ont en outre expliqué qu'ils et elles avaient
reçu des ateliers, lors de leur Cégep Populaire, au sujet de ce qui se
serait réellement passé à l'époque. Apparemment, *l'annulation fut un échec
lamentable pour le gouvernement*. Les cours d'une session entière furent
repris l'automne suivant en seulement six semaines à l'époque, et le
gouvernement voulant se sortir de ce mauvais pas n'a pas pris la peine de
faire du zèle : il n'a même pas appliqué les barèmes d’évaluation
habituels, levant les yeux sur son propre cafouillage. Il faut dire que
lors de cette "grève" d'une session entière, les professeurs avaient
dispensé un "enseignement alternatif" qui avait déplu à l'État, que la
tentative de reprise des cours durant l'été avait été un échec cuisant avec
un taux de participation aux reprises d'environ 10%, et que suite à cet
échec, il a fallu improviser.
C'est, en gros, ce que je me souvient du récit des camarades de
Saint-Laurent. Une archiviste a donné l'atelier à deux reprises aux
grévistes cette année, et la réappropriation de l'histoire par elles et eux
a tenu l'administration en respect, car des étudiant-e-s -- qui n'étaient
même pas né-e-s en 1973 -- en savaient plus que l'intégralité des
personnels autour d'elles et eux. Ce serait peut-être bien de pouvoir
contacter la personne qui a donné l'atelier pour déterminer jusqu’où nous
pouvons être certaines et certains quand nous disons qu'il est impossible
que la session soit annulée, à cause des conséquences beaucoup trop
terribles que cela occasionnerait pour l'État et les administrations. Nous
aurions un coup d'avance sur le gouvernement et pourrions assurément
poursuivre la grève avec l'assurance que nous sommes en train de le forcer
dans ses plus extrêmes retranchements.
Je nous suggère donc d'en savoir davantage sur la question de l'annulation
et de brandir notre menace d'autant plus franchement. Contactons des
personnes-ressources, produisons une brochure sur le sujet, évaluons
concrètement quelle genre de catastrophe nous menaçons de causer et plutôt
que d'être incertain-e-s, nous redoubleront d'assurance que nous devons
poursuivre cette grève jusqu'à la victoire.
Pour lancer une idée, j'ai cherché à en savoir plus sur l'histoire de 1973
à Saint-Laurent, et je suis tombé sur un verbatim fort instructif sur le
cafouillage terrible qui s'est produit. C'est Claude Charron qui s'exprime
dans le papier, le texte est par endroit assez croustillant : *«Dire qu'il
ne s'est rien passé *<pendant le gel des cours de 1973>*, ou comme pourrait
le prétendre le Ralliement créditiste *<un vieux parti de droite>*, qu'on a
fait l'amour sur les calorifères plutôt que de dispenser des cours dans le
CEGEP et d'aller à l’enseignement, comme c'est la fonction normale d'un
CEGEP, c'est faux.»*
Je vous laisse sur ces belles paroles...
Cordialement,
-Frank
Étudiant en sciences sociales
2012/4/8 Louis-Philippe Véronneau <veronneaulp(a)gmail.com>
Belle douche froide. Nous manquons peut-être
effectivement de recul à
force d'être plongé dans le mouvement, mais j'ai peur de n'être pas
totalement d'accord avec toi.
La force première de l'ASSÉ a toujours été la mobilisation; être en mesure
de sortir et de propager un discours construit de manière efficace est au
coeur même du syndicalisme de combat, bien avant le principe d'action
directe.
Avant le début de la grève, cette force de mobilisation a été investie à
l'intérieur de nos campus dans le but de convaincre les membres de nos
associations étudiantes de la nécessité de la grève. Et nous avons réussit.
Nous faisons cependant face à un nouveau problème: maintenant que le
mouvement de grève est entamé, nous n'avons plus "accès" à ces personnes
car elles ne sont plus sur les campus. Et Dieu sait que le résultat d'une
AG se joue bien avant celle-ci.
C'est ici d'après moi que le débat sur la critique des médias devient
important. Personnellement, mis-à-part tracter du matériel d'information
avant nos AG et y faire des discours souvent bien peu écoutés, la seule
autre manière de faire passer un message un tant soit peu structuré -
désolé pour les aficionados des réseaux sociaux – repose selon moi dans les
médias de masse.
Effectivement, les médias ne sont que des instruments, et il faut les
considérer ainsi. Notre lutte ne doit pas tourner autour de ceux-ci, car
nous risquerions de devenir comme les Fédérations étudiantes. Mais nous
devons tout de même en prendre compte, car en ce moment, ce sont eux qui
"mobbent" à notre place, et ce avec une efficacité royale.
Je ne sais pas comment réagir à ton message : oui, tout va très vite ces
temps-ci et j'ai l'impression que la grève est en train de nous passer sous
le nez. Mais que faire?
Nous ne pouvons pas, en congrès, prévoir ce qui va se dérouler dans les
semaines à venir, car ce n'est pas selon moi le lieu pour le faire. Du
moins, pas durant la grève.
La réflexion nécessite du temps et de la patience. Les congrès sont des
lieux où nous nous devons d'apporter d'abord et avant tout les mandats que
nous ont donnés nos Assemblées Générales et prendre des décisions concrètes.
Pourquoi ne pas plutôt relayer les débats sur des listes comme
ASSÉ-SUPPORT (pas sur Facebook, pas pitié) pour favoriser des discutions
plus pertinentes et plus réfléchies?
Sur ce, lançons ici et maintenant le débat :
1.
La ministre elle-même a déjà discréditée le RPR dans une merveilleuse
entrevue avec la revue *l'Actualité*, et ce bien avant de faire son
offre :
« *Pourquoi ne pas avoir revu en profondeur la façon de financer les
études? Par exemple en instaurant un système de remboursements
proportionnels au revenu (RPR) ou en fixant les droits de scolarité en
fonction des coûts réels de la formation?*
Contribuer à l'éducation en fonction des revenus, ça fait déjà partie
du modèle québécois : ça s'appelle l'impôt! Les diplomés universitaires
toucheront dans leur vie entre 550 000 et 750 000 dollars de plus que les
autres diplômés. Ils pairont donc plus d'impôts.
Dans le cas des coûts en fonction de la famille d'études, on s'est
penchés sur cette option. Mais on voit que hausser les droit de scolarité
sucite déjà une forte réaction, imaginez le casse-tête pour assurer
l'accessibilité à un programme de médecine avec un régime de prêts et
bourses si ça coûte, par exemple, 22 000 dollars par année. C'était très
complexe. Et des universités en région nous ont mise en garde contre le
danger de créer deux classes d'universités, celles qui offrent de grands
programmes chers et les autres »
*L'Actualité*, « Entrevue avec Line Beauchamp – La cour est pleine! »,
édition du 15 avril 2012.<
2.
Peut-on réellement intensifier nos actions? J'en doute fort... Je
citerai ici les paroles de François Giguère, exécutant à l'ANEEQ en 1986,
lors de la dernière AG de Maisonneuve : « Si vous voulez gagner, ce qu'il
faut faire, c'est tenir un jour de plus que le gouvernement. Juste un. »
Bref, notre plus grand moyen de pression reste encore et toujours la
grève.
3.
Ce qui nous amène au point 3 de Keena : l'annulation de la session.
Sujet épineux, c'est également le plus grand atout que nous avons dans
cette grève. Selons nos dires, le gouvernement ne peux pas annuler la
session. Est-ce vrai?
Je crois que c'est une question que nous nous demandons de plus en
plus au fur et à mesure que les jours défilent devant nos yeux. Moi-même je
n'en suis plus si sûr. Mais ce doute pourrait également être vu comme une
bonne chose. Si nous sommes en train de nous dire que cela commence à être
une réalité à envisager, imaginez un peu le gouvernement... Car au final,
si cela arrive, c'est lui qui sera pris avec tous les troubles que cela
implique.
La suggestion de Keena est cependant très intéressante : apporter le
débat en Assemblée Générale dans le but de prendre le gouvernement de court
et lui signifier que nous sommes prêt-e-s à aller jusqu'à l'annulation de
nos sessions s'il le faut.
C'est un débat que nous avons déjà depuis deux semaines à la SOGÉÉCOM,
et il en est ressorti que, oui, si une telle proposition parvenait à être
votée à très forte majorité, elle nous menèrait sûrement très loin, mais
que par contre, les risques de mobilisation de la majorité silencieuse
(celle qui ne vient pas aux AG) sont très grands. De plus, le débat
pourrait créer un vent de panique dans l'AG, l'annulation étant abordée
comme un fait bien réel.
Bref, oui pour les associations de l'UQÀM et non pour Maisonneuve.
Voilà, j'espère franchement que, malgré la longueur de mon message,
d'autre apporterons leurs points de vue à ce débat au combien pertinent.
Louis-Philippe Véronneau
Le 7 avril 2012 23:50, keena Grégoire <keenagregoire(a)gmail.com> a écrit :
*De notre responsabilité commune face à
l'histoire *
Camarades,
Je vous écrit parce que je suis bien inquiet actuellement. Ayant assisté
au dernier congrès, je suis particulièrement consterné des discussions que
j'y aie vu, et surtout de celles qui n'ont pas eu lieu.
Le mouvement de grève que nous menons actuellement sort des sentiers
battues. Nous arrivons à un stade de la lutte où les comparaisons ne
tiennent plus, et nous ne pouvons nous baser sur les deniers mouvements de
grève pour prédire ce qui se passera dans les prochaines semaines. En ce
sens, le Congrès est, plus que jamais, appelé à assumer d'immenses
responsabilités, et il ne peut se permettre de ne pas le faire.
Lors du Congrès d'en fin de semaine, j'ai vu ce dernier parler pendant
des heures et des heures d'enjeux plus ou moins liés à la question des
médias. Un enjeu supposément secondaire. Qui n'est pas à la base de notre
stratégie, qui ne devrait pas être au coeur de notre mouvement, et ce selon
nos propres mandats. Et pendant ce temps, voici une liste non-exhaustive
des enjeux cruciaux qui n'ont pas été abordés au courant du congrès et qui
auraient dû l'être:
1.
Comment faire en sorte de discréditer au maximum le RPR comme
solution alternative à la hausse des frais de scolarité? Comment
pouvons-nous nous assurer que cette offre scandaleuse ne viendra pas
affecter les votes de reconduction de grève?
2.
Quelle est la stratégie globale face à nos différentes actions dans
les semaines à venir pour faire plier le gouvernement? Quel est le fil
conducteur de tout cela, dans quelle direction nous dirigeons-nous?
3.
Nous arrivons de plus en plus prêt du stade critique où il deviendra
impossible de prolonger davantage les sessions. Quelle est notre
perspective face à cette question? Voulons-nous apportez des débats dans
les AG afin de nous même constater l'annulation de notre session au delà
d'une certaine date critique, ou laissons-nous cette tâche au gouvernement
directement? Quel est notre perspective face à cette épée de Damoclès qui
se fait de plus en plus présente?
Le Congrès a le devoir de se pencher sur ce genre de question. Nous ne
sommes pas en train de jouer dans un carré de sable et ne pouvons nous
permettre de faire à notre guise en discutant de n'importe quoi, n'importe
comment.
La CLASSE est l'organisation qui mène brillamment cette grève, et ce
depuis le début. Avec cela viens de grandes responsabilités, et nous nous
devons de les assumer et d'être exigent-e-s face à nous même. Il en va de
la réussite ou de l'échec de notre mouvement.
Keena Grégoire
__________________________________________Liste asse-support.
Liste de discution de l'Association pour une Solidarité Syndicale
Étudiante (ASSÉ)
support(a)listes.asse-solidarite.qc.ca
__________________________________________Liste asse-support.
Liste de discution de l'Association pour une Solidarité Syndicale
Étudiante (ASSÉ)
support(a)listes.asse-solidarite.qc.ca