Voici le texte du manifeste de la CLASSE tel qu'adopté et amendé en conseil
de coordination:
La version papier imprimable sera public sur
www.bloquonslahausse.com jeudi
12 juillet, 11h00 AM.
Les affiches pour la tournées de conférences populaires et d'événements
publics seront elles aussi disponibles à ce moment.
*Nous sommes avenir*
Le sol du Québec vibre au rythme de centaines de milliers de pas depuis
plusieurs mois. Une force d’abord souterraine, auparavant engourdie par un
consensus froid, a surgi ce printemps. Cette force a animé étudiantes et
étudiants, parents, grands-parents, enfants, travailleuses et chômeurs. Ce
qui a commencé comme une grève étudiante est devenu une lutte populaire: la
question des frais de scolarité nous aura permis de toucher à un malaise
plus profond, de parler d’un problème politique d’ensemble. Parce que, oui,
il s’agit d’un problème d’*ensemble*. Et pour y répondre, il est temps de
remonter à la racine du problème, de donner corps à notre vision.
Notre vision, c’est celle d’une démocratie directe sollicitée à chaque
instant. C’est celle d’un* Nous* qui s’exprime dans les assemblées: à
l’école, au travail et dans les quartiers. Notre vision, c’est celle d’une
prise en charge permanente de la politique par la population, à la base,
comme premier lieu de la légitimité politique. C’est une possibilité pour
ceux et celles que l’on n’entend jamais de prendre la parole. Une occasion
pour les femmes de parler à titre d'égales, de soulever des enjeux qui,
trop souvent, sont négligés ou simplement oubliés. Notre démocratie ne fait
pas de promesses: elle agit. Notre démocratie ne nourrit pas le cynisme,
elle le détruit. Notre démocratie rassemble, et nous l’avons démontré à
maintes reprises. Lorsque nous prenons la rue et érigeons des piquets de
grève, c’est cette démocratie qui respire. C'est une démocratie *d'ensemble.
*
Leur vision, leur démocratie, ils et elles la disent représentative: on se
demande bien qui elle représente. Elle ne se vit qu’une fois par quatre ans
et ne sert trop souvent qu’à changer les visages. Élection après élection,
les décisions restent les mêmes et servent les mêmes intérêts, préférant
les doux murmures des lobbys au tintamarre des casseroles. Quand se fait
entendre la grogne populaire, on applique des lois spéciales et on nous
impose les bâtons, le poivre et les gaz lacrymogènes. Lorsque l’élite se
sent menacée, elle trahit les principes qu’elle dit défendre: leur
démocratie ne fonctionne que lorsque nous nous taisons.
Pour nous, les décisions démocratiques doivent être le fruit d'un espace
de partage au sein duquel chaque homme et chaque femme est valorisé-e.
Égaux dans ces espaces, ils et elles peuvent, ensemble, construire le bien
commun.
Nous avons compris que le bien commun dépend d’un accès égal aux services
publics, et l’égalité dans les services publics porte un nom: la gratuité.
La gratuité n’est pas seulement une absence de prix, c’est l’abolition des
barrières économiques à l’accès à ce qui nous est le plus précieux
collectivement. C'est l'abolition des entraves à la pleine réalisation de
notre humanité. La gratuité, c’est payer *ensemble* ce que l'on possède *
ensemble*.
À l'inverse, la tarification - la «juste part» - est une discrimination
invisible. Sous le couvert du principe soi-disant consensuel
d’«utilisateur-payeur», on impose en fait une surtaxe à ceux qui sont déjà
les plus négligés. En quoi est-ce juste de demander le même montant pour
franchir les portes d’un hôpital à un avocat et à un emballeur? Ce qui,
pour un, est un montant minime est pour l’autre un fardeau insupportable.
Et ce fardeau, nous le portons tous et toutes, que l’on soit aux études ou
non: c’est l’un des enseignements de notre grève. Nous sommes des
locataires, nous sommes des travailleuses et des travailleurs. Nous sommes
des étudiantes et étudiants internationaux laissées pour compte par des
services publics discriminants. Nous sommes de toutes les origines et tant
que la couleur de la peau ne sera pas aussi banale que la couleur de yeux,
nous subiront nous aussi le racisme ordinaire, le mépris et l’ignorance.
Nous sommes des femmes et si nous sommes féministes, c'est parce que nous
vivons le sexisme au quotidien et les revers du système patriarcal et que
nous combattons les préjugés les plus tenaces. Nous sommes gays, *straight,
*bisexuelles, et nous le revendiquons. Nous n'avons jamais été une couche
séparée de la société. Notre grève n’est pas contre le peuple.
Nous sommes le peuple.
Notre grève dépasse la hausse des frais de scolarité de 1625$. Si on nous
dépossède des droits les plus fondamentaux en mettant nos institutions
scolaires sur le marché, il en va aussi des hôpitaux, d’Hydro-Québec, de
nos forêts, de notre sous-sol. Plus encore que les services publics, nous
partageons des espaces de vie. Ils étaient là avant nous, et nous voulons
qu’ils nous survivent.
Or, la convoitise d'une poignée de gens, redevables à personne, est en
train de ravager ces espaces en toute impunité, du Plan Nord au gaz de
schiste. Pour ces gens dont la vision se réduit au profit du prochain
trimestre, la nature n’a de valeur que mesurée en retombées économiques.
Capricieux et avides, ils n’ont d’yeux que pour leurs actionnaires
lointains, myopes qu’ils sont à la beauté du bien commun. Pour se
satisfaire, cette clique procède de manière coloniale, sans consulter
personne. Loin des caméras, pauvres et donc facilement oubliées, les femmes
autochtones sont les premières victimes de cette vente à rabais.
Heureusement, les peuples autochtones, déportés par chaque nouvelle
prospection, résistent à ce vol continuel. Si certains projets
d'exploitation sauvage ont pu être mis sur pause, c'est parce que des
femmes et des hommes ont osé les défier. Ils et elles ont su résister à ce
pillage des ressources, malgré les discours catastrophistes affirmant que
notre survie économique dépend de l'exploitation rapide, à tout prix, de
notre sous-sol.
Ensemble, nous serons toutes et tous affectées par le gaspillage des
ressources parce que nous nous soucions de des peuples avec qui nous
partageons tous ces espaces et de celles et ceux qui viendront après nous.
Nous voulons penser mieux, nous voulons penser plus loin.
Voilà le sens de notre vision, l’essence de notre grève. Une action
collective qui dépasse les intérêts étudiants, qui ose revendiquer un monde
différent, loin d’une soumission aveugle à la marchandisation. Celle des
individus, de la nature, de nos services publics: une même petite élite
vend tout ce qui nous appartient. Pourtant, nous le savons: les services
publics ne sont pas des dépenses inutiles, ni des biens de consommation.
Ensemble, nous avons réalisé que notre sous-sol ne se mesure pas en tonnes
de métaux et que le corps d'une femme n'est pas un argument de vente. De la
même manière, l’éducation ne doit pas être vendue, elle doit être offerte à
tous et à toutes, sans regard leur statut d’immigration et à leur
condition. Une éducation pour nous, une éducation qu’ensemble nous
partagerons.
Parce que l’éducation est un apprentissage de l’humanité, et que l’humanité
ne se soumet pas à la compétitivité économique, nous nous refusons à ce que
nos écoles se plient aux poids des portefeuilles. Ensemble, nous voulons
une école égalitaire qui brise les hiérarchies et qui menace ceux et celles
qui croient pouvoir nous diriger en toute sécurité.
En mettant à la disposition de toutes et tous les ressources nécessaires
au plein développement de leurs capacités, nous pourrons créer une société
où l’organisation de la vie en commun et la prise de décision se font
collectivement. C’est le cœur de notre vision. L’éducation n’est donc pas
une branche de l’économie, ni un service de formation à court terme. Cette
racine de tous les savoirs permet de paver la voie à l'émancipation de
toute une société, une éducation libératrice qui jette les bases de
l’autodétermination.
Nous pensons qu’en tant que lieu de partage d’un savoir universel,
l’éducation doit abolir toute forme de discrimination et de domination
fondée sur le genre. Il s’avère pourtant qu’être femme dans ce système est
tout aussi difficile qu’être femme en société. Croire que la reproduction
de statuts inégalitaires est absente de l’école est un leurre. Nous sommes
écœuré-e-s de voir que les professions traditionnellement féminines sont
moins valorisées en société et sont encore étudiées majoritairement par des
femmes. Nous sommes nombreuses dans les salles de classe de baccalauréat,
mais combien d’entre nous gravissent les plus hautes marches de l’escalier
universitaire?
En opposition à ce maintien des discriminations envers les femmes et les
personnes mises de côté par la société, nous souhaitons que l’éducation
soit réellement un lieu d’égalité et de respect des différences. Nous la
vivons comme un lieu d’épanouissement universel.
Si nous avons choisi la grève, si nous avons choisi de nous battre pour
ces idées, c’est pour créer un rapport de force, seul mécanisme nous
permettant de peser dans la balance. *Ensemble*, nous sommes capable de
beaucoup: mais il nous faut parler, et il nous faut parler fort. L’histoire
démontre, de façon éloquente, que si nous choisissons l’espoir, la
solidarité, et l’égalité, nous ne devons pas quémander, nous devons
prendre. Voilà ce qu'est le *syndicalisme de combat*. Alors que partout
fleurissent de nouveaux espaces démocratiques, il faut les utiliser pour
constamment penser un monde nouveau. Nous ne versons pas dans la
déclaration de principes, mais dans l’action: si nous faisons aujourd’hui
un appel à la grève sociale, c’est pour rejoindre demain l’ensemble de la
population québécoise dans la rue.
*Ensemble, *construisons à nouveau.
Nous sommes avenir.
--
*Julien Royal
Secrétaire à l'information
Coalition Large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante
(CLASSE)
Cellulaire: (514) 638-1461
Site web:
www.asse-solidarite.qc.ca*