Je vous écris aujourd'hui, car je suis un peu inquiet de la tournure des
événements et je me pose de sérieuses questions sur notre stratégie face au
sommet.
De prime à bord, je souhaite préciser que je ne suis pas et je n'étais pas
un partisan de la participation au sommet. Je crois que la meilleure
stratégie, c'est d'établir un réel rapport de force face au gouvernement
grâce à la mobilisation de masse et de refuser d'embarquer dans le piège de
la concertation.
Toutefois, j'ai des sérieux doutes sur notre stratégie actuelle pour une
raison fort simple : nous ne semblons pas être en bonne posture pour
"établir un réel de force grâce à la mobilisation de masse".
Je crois que nous sommes devant un choix crucial : soit on donne un sérieux
coup de barre et on parvient à créer le momentum nécessaire à une grève
d'envergure pendant le sommet, soit on établit notre plan sur une plus
longue période de temps et on participe au sommet, tout en le critiquant.
Laissez-moi d'abord vous expliquer cette seconde option. Je crois que si la
grève lors du sommet est un échec sur le plan de la participation, notre
syndicalisme de combat s'en trouvera plus affaibli que d'autres choses. En
plus d'être attaqué de toutes parts pour avoir boycotté le sommet, l'ASSÉ
n'aura pas réussi à prouver qu'une masse importante d'étudiants supporte ce
choix. Un échec de la mobilisation contre le sommet confirmera au
gouvernement que nous n'avons plus la capacité de nous opposer à une
réforme régressive de l'éducation. De plus, notre discours sur la gratuité
scolaire s'en trouvera marginalisé, car nous serons les seuls à boycotter
le sommet et peu de gens seront dans la rue pour supporter ce choix.
Au lieu de s'enligner sur une faible mobilisation, il me semble préférable
d'articuler notre plan d'action sur des objectifs à plus long terme. Le
sommet, à la limite, on sait très bien que ce n'est qu'un exercice de
relation publique. Nous ne sommes pas dans l'obligation de bruler nos
forces contre cet événement. Afin de réduire la tension et d'éviter d'être
marginalisé à ce point-ci de la campagne, alors que le rapport de force ne
semble pas en notre faveur, il serait possible de participer au sommet,
tout en critiquant vivement sa forme et les choix du gouvernement. Une
manifestation peu tout de même avoir lieu, mais elle ne s'articulera pas,
alors, avec la prétention d'être une manifestation "contre" le sommet. Ce
sera plutôt une manifestation pour la gratuité scolaire, ou quelque chose
du genre.
*Mais pourquoi la mobilisation serait-elle un échec?*
Plusieurs indices me laissent croire que nous aurons de la difficulté à
tenir une grève et une manifestation d'envergure.
Premièrement, la date du sommet tombe très mal par rapport au calendrier
scolaire des différentes institutions. Les 25 et 26 février :
- L'UQAM est en semaine de relâche. Même si des votes de grève sont pris,
ce sera très symbolique. De plus, la semaine de relâche est généralement le
moment où il y a le plus grand nombre de travaux à faire pour la
mi-session. (22 000 grévistes potentiels)
- Ce sont les deux premiers jours de la session d'hiver pour le cégep de
Maisonneuve (6 000 grévistes potentiels)
- Les cégeps de Lionel-Groulx, Saint-Jérôme, André-Laurendeau et
Saint-Laurent seront rentrés depuis une semaine seulement. (16 000
grévistes potentiels)
- Les cégeps du Vieux-Montréal, de Valleyfield et de Marie-Victorin seront
rentrés depuis deux semaines. (12 000 grévistes potentiels)
Deuxièmement, peu de campus semblent réellement prêts à tenir des votes de
grève. Là je peux me tromper, et corrigez-moi si je me trompe, mais je n'ai
pas vu beaucoup d'information circuler par rapport à des assemblées de
grèves à venir. Pourtant, nous sommes à un mois du sommet. À pareil
intervalle, l'effervescence par rapport à la "semaine de grève
internationale" était beaucoup plus grande (nonobstant l'enjeu réel). Des
votes semblent être réellement prévus à Saint-Laurent, à Valleyfield, à
Saint-Félicien et à l'UQAM (où les votes seront vraisemblablement plutôt
fictifs). C'est pas mal tout.
Troisièmement, le décalage des sessions dans les cégeps pose un problème au
niveau de l'énergie disponible pour faire de la mobilisation. De ce que
j'ai vu, plusieurs miliant-e-s sont en fin de session jusqu'à la mi-février
et n'ont pas beaucoup de temps à mettre pour faire du travail politique. Il
est également très difficile de tenir un vote de grève d'ici la fin de la
session d'automne afin que celle-ci soit effective au début de la session
d'hiver. Si l'on combine cela avec des militant-e-s en fin de session et
des campus où règne un climat "d'écoeurement" face à la grève, je crois
qu'on peut s'attendre à des résultats médiocres.
Je ne souhaite pas être plus défaitiste qu'il ne le faut. Il est encore *
possible* d'organiser une mobilisation digne de ce nom, mais j'ai
l'impression qu'on se dirige actuellement droit dans un mur. Alors soit on
réveille les campus pour vrai - ce qui reste un très gros pari à mon avis
compte tenu du court délai - soit on réoriente notre stratégie sur une
perspective à plus long terme.
Solidairement,
- Alain Savard
Afficher les réponses par date