Lettre de démission du comité-femmes de l’ASSÉ (CLASSE)
À qui me lira,
Une
militante du comité-femmes, Fanny Lavigne a démissionné en automne
2011. Je considère que plusieurs personnes ont eu une attitude
anti-féministe en réaction à sa décision. On l’a qualifié d'émotive et
pour cette raison on a évacué du revers de la main les raisons
politiques qui ont causé sa démission.
Je
suis consciente qu’il risque d’arriver la même chose concernant ma
propre démission, surtout en raison des récentes critiques qui ont été
faites en congrès au comité-femmes, bien qu’elles soient loin de
constituer à elles seules la raison de mon départ. Mon désir de quitter
ce contexte malsain d’implication précède en fait le congrès du 22
janvier 2012. Seulement, je voulais me laisser le temps nécessaire pour
le faire correctement, en fournir les raisons politiques claires au
congrès.
Je
pars de la CLASSE et de l'ASSÉ avec enthousiasme et désillusion de
certains aspects du mouvement étudiant. Je ne quitte pas la militance,
je quitte des structures assiégées d'une vision du mouvement étudiant
qui m’écœure. L'utilisation qu'on en fait présentement, fait de moi un
simple outil d'une élite militante. Ma position de membre d’un comité
redevable au congrès, contribue à justifier un dénigrement et une mise
de côté de mon discours et de mes réflexions sur ma pratique. Plusieurs
personnes avec qui j’ai travaillé dans le cadre des mandats du
comité-femmes ont cru bon de m’éclairer la voie à suivre, le bon
féminisme à avoir, sans pour autant tenir compte de la réalisation
passée de mandats, qui m’avait amené à approfondir progressivement mon
analyse des rapports de genres, par conséquent à modifier ma façon de
militer. Cela constitue à mon avis un flagrant manque de respect que de
se faire ainsi diriger, encadrer, alors que l’on ignore -malgré les
bilans et textes réflexifs rédigés à cet égard par le comité femmes- le
processus qui sous-tend le fonctionnement que nous suggérions congrès
après congrès. Critiquez nous! Vive les débats de fonds, surtout s’ils
sont féministes! Toutefois, donnez-vous au moins la peine de vous
renseigner d’abord sur ce que nous avons réellement fait. Critiquez nos
idées certes, mais entendez-les et assurez-vous de les comprendre avant!
À
plusieurs égard, le mouvement étudiant est un espace réservé. Réservé à
une classe sociale militante fonctionnant selon la logique normative du
“with us or against us”. En étant membre du comité-femmes, en amenant
des critiques féministes sur le fonctionnement interne de l’ASSÉ, on
nous (les autres membresses et moi) a trop souvent, rapidement,
injustement, accusées de “diviser le mouvement étudiant”. Dénoncer des
inégalités, qu’elles soient genrées ou non, est à mon avis le premier
pas vers leur abolition. C’est pourquoi en m’impliquant sur le comité
femmes je m’y suis employée, critiquant avec autant de rigueur le
sexisme et ses concrétisations partriarcales externes et internes au
mouvement étudiant. Je l’ai fait dans l’optique de contribuer à une
ASSÉ, puis une CLASSE, dont la pratique serait le reflet du féminisme de
ses principes. Dans la visée aussi d’apprécier davantage mon milieu
d’implication, de le rendre plus inclusif, plus humain. Bref, je l’ai
fait pour le mouvement tel que je le conçois. Je réalise maintenant que
la quantité monstre d’énergie consacrée à une implication conflictuelle à
la CLASSE et l'ASSÉ n’en vaut pas la chandelle compte-tenu du soutien
financier et logistique précaire qu’elles ont offert jusqu’ici au comité
femmes (tel que le détaille le bilan global d’implication du comité
femmes de 2009 à 2012). Elles ne cautionnent ma militance que lorsque ma
perspective féministe ne critique pas leur fonctionnement. Je ne crois
présentement plus en l'usage que l'on fait de ces structures pour mener
une lutte étudiante féministe. Je peux faire des tournées, critiquer
les problématiques genrées du mouvement, co-écrire des articles,
co-construire des ateliers, bref faire tout ce que j'ai avec conviction
en étant sur le comité femmes, tout ça je peux le faire sans être élue.
Je peux être féministe sans en porter le titre... En fait, je
démissionne du combat quotidien contre une culture et une tradition
militante qui ne sont pas féministes du tout. Je n'aurai plus à me
justifier à chaque fois que je voudrai avoir une praxis féministe, je
n'aurai qu'à la mettre en application. Je n'en peux plus de lutter
contre un mouvement dont on me dit que je fais partie en m’évinçant des
débats. Je laisse ce combat à d’autres, mettra le chapeau à qui il fera,
bon courage!
Enfin,
ma plus grande crainte pour la grève générale illimitée qui s’en vient
n’est plus seulement celle d’une récupération envisagée du mouvement
étudiant par la FECQ et la FEUQ. Elle est aussi et surtout, une peur
bleue d’une récupération de la mobilisation des militantes et militants
du cégep, des féministes, des queers, des groupes de luttes à
l’homophobie, des groupes autonomes, des étudiants internationaux et
étudiantes internationales, de bien d’autres, bref de la base étudiante
qui sera dans la rue. Une récupération planifiée par un encadrement
excessif et paternaliste de certaines personnes faisant partie des
cercles priviligiés de la CLASSE. Cette CLASSE dont certains et
certaines délégué-e-s se permettent beaucoup de lattitude quant à la
définition de leurs mandats d’assemblée générale allant parfois jusqu’à
s’en passer. Ces gens qui s’autodéterminent comme légitimes de penser
une supra-stratégie militante puisqu’étant membres de conseil exécutif
élargi. Cette CLASSE, structure qui ose avoir la prétention de “diriger”
le mouvement de grève, tel qu’affirmé par le porte-parole de celle-ci
dans les médias à la rentrée universitaire d’hiver (2012).
Cette
grève je veux la vivre avec tous ces groupes que j’ai nommé
précédemment. Je veux la vivre en actions, en réflexions, en débats, non
m’y épuiser en instances nationales. Je veux la vivre en tant que
militante tout simplement, pour arriver à la percevoir encore comme un
espoir d’une société alternative, comme une possibilité de rêve général
illimité. Je quitte les jeux de pouvoir de la politique nationale
étudiante pour me consacrer au politique de l’action collective et de la
démocratie directe, m’en alimenter à la source.
Dans l’espérance de grèver ensemble,
d’être solidaires pour vrai,
Gabrielle Desrosiers