Bonjour camarades,
Il m'a été proposé de vous envoyer ce texte à l'avance. Il est supposé
sortir dans la revue ultimatum de l'hiver, mais dans l'espoir que des
associations prennent position dans leurs Assemblées générales, nous vous
l'envoyons en primeur!
(Les notes de bas de page seront dans la revue)
*L'ironie de l'Assurance-Qualité*
Au mois de novembre 2011, la ministre Beauchamp demandait au Conseil
supérieur de l’éducation du Québec un avis devant être remis en janvier
2012 sur «l’opportunité d’ajuster les mécanismes d’assurance-qualité au
Québec» pour la formation universitaire.
L’apparition du mot assurance-qualité dans le vocabulaire gouvernemental
n’a rien de réjouissant. Malgré le fait que nous exigeons depuis des années
une éducation publique, gratuite et de qualité, l’assurance-qualité fait
référence à un bien autre contexte : l’évaluation des universités selon le
modèle américain, avec des accréditations privées, connue sous le nom de
Processus de Bologne en Europe.
Alors que le Québec témoigne d’un retard historique dans le processus
mondial de marchandisation et de mise en concurrence de ses universités,
l’assurance-qualité est un phénomène bien connu en Europe et aux États-Unis
– qu’on tente aujourd’hui d’importer chez nous.
*
De l’esprit critique à la qualité*
Des années 70 au début des années 80, la tâche de l’université a été de
construire, autour de l’étudiant ou de l’étudiante, un projet de progrès
social et technologique. Ce projet était rendu possible par le
développement de l’esprit critique, qui permettait aux diplômé-e-s de
dépasser les problèmes sociaux, économiques et technologiques. Les
diplômé-e-s devaient avoir la capacité de critiquer les constats de leur
époque, de générer des idées neuves et de les placer dans des systèmes
globaux recoupés à l’intérieur des théories apprises. Tout cela se trouvait
développé au sein de l’université. Malheureusement, cette liberté avait un
coût : une relation ambigüe avec l’État. Ces universités, formant des
générations dirigeant l’État et la société, construisaient – au fil du
temps – un lien privilégié avec l’appareil gouvernemental. Il s’est
construit une certaine dépendance envers l’État pour survivre et donc une
limite dans la critique de ce dernier.
Par contre, en Europe, les perturbations de mai 68 et les multiples grèves
étudiantes ont miné la confiance entre l’université et l’État. L’université
n’a plus constitué un lieu de perpétuation de l’élite, mais plutôt de
contestation. De là, une grande contradiction – soit le fait que
l’université critiquait ce dont elle dépendait. L’esprit critique dérange.1
Les États européens ont trouvé la solution à ce problème en retirant à
l’université l’une de ses pierres angulaires : l’évaluation. Dès les années
90, ils ont exigé que les universités européennes attestent à des tierces
parties leur capacité de rendre des études de qualité. Auparavant,
l’évaluation était issue d’un principe d’autogestion de l’université et,
donc, intrinsèque à sa propre mécanique de contrôle, opérée par des
collègues dans le corps professoral. Les différents États ont prétexté un
manque de confiance et le désir d’assurer une compatibilité mondiale pour
une meilleure mobilité du savoir. Ils se sont basés sur le modèle
américain, depuis longtemps privatisé et soumis aux impératifs d’organismes
d’accréditation. De cette évaluation, la valorisation de l’université
n’était plus son esprit critique, mais la « qualité ». C’était la naissance
de l’un des principes de l’« assurance-qualité ».
*Définir la qualité*
Il peut être ironique de s’opposer à une évaluation sur le principe de la
qualité. En effet, n’est-ce pas une revendication historique de l’ASSÉ que
d’avoir une éducation de qualité? Cependant, il existe plusieurs
définitions de la qualité en éducation supérieure, les bases ayant été
jetées par Harvey et Green en 1993 dans leur article : « Defining
Quality »2. On peut ainsi résumer trois concepts :
La qualité comme excellence : est traditionnellement associée à quelque
chose de spécial et de distingué par rapport aux autres, l’excellence est
en fait le symbole même de l’élitisme. La réputation des universités comme
Harvard, Cambridge ou la Sorbonne entrent dans cette définition de la
qualité.
La qualité comme valeur pour l’argent : c’est une perspective économique
qui établit un lien direct entre coût et qualité. Cette définition accentue
le rôle de l’État à exiger une meilleur «efficacité» pour l’investissement
reçu. À des buts précis, un «produit» doit répondre aux attentes précises
d’un «client». En se concentrant sur l’atteinte d’objectifs nommés, on
oublie malheureusement de se questionner sur la pertinence des objectifs
fixés au départ.
La qualité comme transformation : cette définition fait davantage référence
au senti des diplômé-e-s quant à l’effet de l’éducation sur leur vie.
L’acquisition de connaissances et compétences permet une meilleure
préparation intellectuelle critique pour faire face aux préjudices et
obstacles sociaux, il revient donc aux diplômé-e-s de considérer l’impact
de leur apprentissage sur leur vie.3
Ainsi, la qualité de l’édcation peut prendre plusieurs aspects, et le choix
de l’une des définitions plutôt qu’une autre consiste davantage en un choix
politique qu’en une valeur objective. Les gouvernements ont généralement
tendance à utiliser ces trois définitions en alternance, à des moments bien
précis, mais seulement pour des raisons discursives.
*Qu’est-ce que l’assurance-qualité?*
L’assurance-qualité telle que présentée par le gouvernement est une reprise
du développement de l’éducation supérieure en Europe à travers ce qui est
connu comme le Processus de Bologne4. Ce processus est en fait une entente
non contraignante entre 46 pays européens qui vise à faciliter la mobilité
entre les institutions, à hausser l’attractivité des institutions
européennes pour les académiciens et académiciennes originaires de pays non
européens et à accentuer la recherche et le développement.
Ce processus se divise en trois grandes réformes. Premièrement, il
uniformise les études en trois cycles (license-master-doctorat).
Deuxièmement, il met en place le calcul de crédits ECTS (European Credit
Transfer and Accumulation System). Finalement, il implante
l’assurance-qualité. Au Québec, deux des réformes sont déjà naturellement
incorporées puisqu’elles représentent l’uniformisation des études
supérieures autour du modèle nord-américain : baccalauréat (trois ans, 90
crédits), maîtrise (deux ans, 60 crédits) et doctorat (trois ans, 90
crédits).
En ce qui a trait à l’assurance-qualité, ce sont des organisations externes
aux universités qui sont chargées d’établir les barèmes et les critères
définissant la qualité. Basée principalement sur la « réussite »
américaine, l’éducation est alors perçue comme un service fourni en échange
de frais, qui se soumet aux certifications de production et de service
comme ISO 9001. L’assurance-qualité garantit que l’université fournira des
services à la hauteur des frais. Ainsi, les grandes écoles se disputeront
la plus haute qualité/prix pour se distinguer auprès des étudiantes et des
étudiants.
On se retrouve donc avec la seconde définition de la qualité telle
qu’expliquée précédemment. L’assurance devient un outil de régulation du
marché concurrentiel des universités pour l’« acquisition » d’une
population étudiante étrangère.5 Déjà, l’Association des universités et
collèges du Canada (AUCC) jalouse la capacité qu’a eue le processus de
Bologne à permettre une mobilité des étudiants et étudiantes à travers
l’Europe. Même si elle reconnait qu’un tel processus est un témoignage de
la perte de confiance qu’a l’État envers l’université, elle vante « le
volet marketing du Processus de Bologne » en permettant de mettre toutes
les universités en compétition.6
Les critères de qualité se basent sur les objectifs d’organisations
indépendantes comme l’ENQA. Cet organisme s’appuie sur plusieurs tests et
critères dont, par exemple, l’évaluation du nombre de bourses et de
publications de chaque professeur-e, et des questionnaires génériques aux
étudiants et aux étudiantes quant à leur appréciation du recueil de texte.7
Ces processus extérieurs de vérification de la qualité et de la concurrence
sont justement le troisième pilier de la privatisation de l’enseignement :
hausser les frais, modifier la gouvernance, implanter l’assurance-qualité.
En considérant l’université comme une entreprise, avec ses produits et sa
clientèle, on considère que l’éducation est un investissement à la fois
personnel et national. Personnel parce que dans une perspective
individuelle de stratégie de vie, la formation augmente la valeur de
l’individu sur le marché du travail et lui permet d’avoir un meilleur
salaire. C’est la théorie du capital humain de Brecker.
Mais aussi, on considère que l’éducation dans notre société du savoir est
un facteur de croissance économique. La recherche et l’enseignement sont à
la fois des marchandises et des bonifications au niveau de l’offre de
services d’un pays. À ce niveau, les étudiants et les étudiantes deviennent
des denrées exportables et importables, au même titre que le pétrole. C’est
la théorie de la croissance endogène de Robert Lucas.
Ces théories néo-classiques justifient que l’individu et l’État partagent
le financement de l’éducation, car c’est un bénéfice, tant sur le plan
individuel que collectif. D’un côté, l’individu acquiert son salaire et de
l’autre, l’État profite de la croissance économique. La population
étudiante hors pays est alors considérée comme une marchandise de choix.
Les universités doivent donc se concurrencer pour acquérir le plus possible
d’étudiants et d’étudiantes, et ainsi augmenter la valeur de l’institution
en prouvant son attractivité, tout en haussant la facture.
Le Québec n’a pas implanté toutes ces mesures néolibérales, qui sont déjà
implantées dans de nombreux pays. À cet effet, nous constituons une
certaine exception. Or, comme le dit Trotsky, «la notion de retard
historique est plutôt relative et peut être un avantage.» En voyant les
erreurs des autres, nous pouvons les éviter. Il n’y a pas de gloire à être
le premier à foncer directement dans un mur.
Lorsque l’ASSÉ revendique une éducation de qualité, il est question d’une
qualité qui transforme, d’une satisfaction des diplômé-es face à leur
parcours et de leur perception qu’ils et elles sont maintenant plus aptes à
affronter les injustices, critiquer les failles du système et comprendre
les nuances de notre monde. Cette qualité n’a pas de prix et elle est
universelle. Le jour où nous aurons l’assurance que notre éducation sera de
qualité, ce sera le jour où nous cesserons de la traiter comme une
marchandise. Ce jour-là, l’éducation sera gratuite.
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*Philippe Lapointe*
Secrétaire aux affaires académiques
*Association pour un solidarité syndicale étudiante (ASSÉ)*
*http://www.asse-solidarite.qc.ca*
Bureau: 514-390-0110
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