Montréal, le 6 avril 2012
Camarades et ami-e-s,
Mon travail au Comité médias s'achève aujourd'hui.
J'ai eu envie de faire comme j'avais fait un jour, la première fois que
j'ai démissionné pour des raisons politiques. J'avais alors écrit sur un
simple *post-it* jaune: «Vous êtes mous. Je démissionne.» Cette lettre est
toujours disponible, si vous voulez plus d'explications. Elle a été
archivée, numérisée et a trouvé sa place sur la Toile. Mais je pense que ça
mérite un peu plus d'intelligence.
Quand je me suis présentée au Comité médias, c'était en croyant fermement
que le travail médiatique de la CLASSE devait être pris en charge par des
personnes ayant un point de vue critique des médias et de la façon dont ce
travail s'articule dans une organisation syndicale combative, démocratique
et féministe. Ne pouvant nier l'existence des corporations médiatiques et
l'influence qu'elles auraient sur notre lutte, nous devions nous en
charger. Mais pas comme il est dicté de le faire.
Je le crois toujours. J'ai voulu contrôler les miroirs médiatiques et
empêcher les dommages complexés qu'ils créent. On ne contrôle pas aisément
quelque chose de plus grand, et de plus rapide que soi. C'était extrêmement
narcissique de penser ainsi.
Le labyrinthe médiatique nous a bien eus. Je n'ai pas les idées très
claires, mais j'ai ce goût amer de café froid et d'énergie gaspillée.
L'absurde envie de tout recommencer, alors que la grève tire à sa fin.
Quand je regarde un peu derrière nous, je remarque qu'on a passé beaucoup
trop de temps à dire que les médias sont secondaire à la lutte, un petit
animal étrange qui nous traîne toujours dans les pattes et dont on n'a pas
le choix de s'occuper. C'est certainement pas ça qui va nous faire gagner,
mais c'est ce qui risquerait de nous faire perdre – surtout sur le terrain
des principes. Aujourd'hui, c'est ce qui me fait, tristement, douter de
l'organisation en laquelle j'ai toujours cru depuis mes premiers
balbutiements d'implication dans le mouvement étudiant, il y a de cela
quelques années.
Il m'est impossible de travailler avec des gens pour qui les critiques
émises en Congrès s'apparentent à de l'acouphène: un bourdonnement
dérangeant, certes, mais sans plus. Faire à sa tête est une chose – certes
répréhensible dans une organisation démocratiques où les gens élus ont des
responsabilités, mais ça, c'est une autre histoire. Faire à sa tête quand
on reçoit des piles de motions de blâme, c'est à se demander si l'on doit
engager un commis de bureau pour les trier, ou bien démissionner.
Je ne peux cacher à personne que je pensais démissionner depuis longtemps
déjà. Je sentais que tout ça m'échappait, que mon cerveau *spinnait* dans
la bouette. Je ne sais toujours pas, au moment où j'écris ces lignes, si
les dynamiques exécrables au sein du comité et leur caractère
anti-démocratique sont dues au tourbillon médiatique, qui va toujours plus
vite, ou bien à des praxis politiques bien personnelles. J'ai failli un
peu, parfois beaucoup, au rôle de chien de garde que je m'étais
auto-attribué. Pas vous. Vous avez su rester alertes en tout temps, et avez
exprimé des critiques cruellement juste, et des blâmes trop justifiés.
Continuez dans cette veine! Dans un monde de marde où les médias de masse
aspirent ceux avec qui ils frayent, il faut avoir beaucoup d'intégrité
collective. Mais les résolutions prises par le Congrès aujourd'hui ne sont
pas étrangères à ma décision. Lorsque j'ai appris qu'une sortie de presse
commune s'organisait avec les fédérations étudiantes – ce que j'ai
d'ailleurs appris grâce à mes camarades de l'AFESH, et non mes collègues du
Comité médias – je n'ai ressenti qu'un profond malaise, et j'ai su qu'il
me
fallait marquer ma dissension plus fortement que jamais.
Je quitte un comité où je n'ai jamais vraiment eu ma place, mais je ne
quitte pas la CLASSE – et encore moins l'ASSÉ. J'ai tout de même ce petit
soleil en coin qui me rappelle que la grève n'est pas finie, et qu'il nous
reste beaucoup de travail à faire. J'espère pouvoir être plus utile
ailleurs. Allez, je raccroche mon téléphone, mais la lutte continue!
Ainsi, je vous laisse cette nébuleuse en souvenir, en espérant un Congrès
d'orientation qui viendrait trouver une place adéquate à cet étrange animal
médiatique, une place qui *fitte *avec nos principes historiques.
Solidairement,
Jusqu'à la victoire prochaine et plus loin encore,
Mathilde Létourneau
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