Bonjour à toutes et tous,
Suite aux quelques textes intéressants ayant été publiés sur la question du
maintien ou non de la grève lors de la campagne et sur la question de la
stratégie à adopter lors de la campagne, je me permet de vous soumettre ici
un modeste texte de réflexion et d'analyse portant sur ces questions.
J'espère que certaines et certains auront le courage de le lire malgré la
longueur dudit texte.
Solidairement,
S.R
AFESPED-UQAM
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Alors que le Québec vient d’être plongé dans une campagne électorale, il
importe de se questionner sur la stratégie à adopter dans les quelques
semaines à venir. En effet, qu’on le veuille ou non, le problème tant
redouté de la campagne électorale est bien présent et ne peut être ignoré
tant il menace tout l'édifice social que nous avons réussi à bâtir
collectivement.
Nous aborderons dans ce texte quelques modestes réflexions qui sont
apparues avec la campagne.
*Suspendre ou non la grève?*
Si la question du maintien de la grève peut paraître légitime dans le cadre
de la campagne électorale (beaucoup ont parlé d’une “trêve électorale”),
celle-ci ne devrait pas monopoliser les débats que nous avons.
En fait, pour nous, il est actuellement impensable d’envisager de suspendre
le principal moyen de pression et d’action que nous avons utilisé et qui a
donné lieu à la construction du rapport de force avec l’État, et plus
largement naissance à la crise sociale que nous traversons.
Il s’agirait là d’une erreur stratégique considérable que de penser que
cela n’affecterait pas notre rapport de force, en plus de penser qu’un vote
de grève se tient si facilement, quelques semaines après un premier arrêt
de la grève, en plein milieu de semaines de cours intensives.
N’oublions pas, si nous arrêtons la grève, nous relâchons une partie de la
pression sur le Parti libéral ainsi que sur les autres partis qui
pourraient devoir gérer la crise s’ils accèdent au pouvoir. Dans une
période où tous les groupes entrent en compétition pour s’attirer
l’attention publique et obtenir satisfaction de leurs revendications,
abandonner notre principale force serait un suicide politique sans
précédent.
Par ailleurs, retourner en classe maintenant ne ferait que donner raison au
PLQ dans l’application de la loi 12. Cela équivaudrait à une capitulation
inacceptable de notre part et à un cadeau politique beaucoup trop facile au
PLQ.
*Quelles revendications dans le cadre de la campagne?*
Dans le cadre d’une campagne de grève contre la hausse qui risque de
s’enliser dans la campagne électorale, il est extrêmement important d’avoir
des revendications claires et de rappeler que nos principales demandes sont
actuellement les suivantes :
A. L’abolition de la hausse des droits de scolarité,
B. L’abolition de la loi 12.
C. Le maintien de la grève tant et aussi longtemps que ces conditions
n’auront pas été atteintes, dans la mesure de nos capacités.
Ce discours nous vaudra certainement des qualificatifs de fermeture au
dialogue, mais il est facile d’y répliquer avec la promotion des
alternatives fiscales que nous avons déjà adoptées en congrès.
Dans la mesure où dans une campagne électorale, l’espace public est saturé
par différents groupes et différentes questions, il extrêmement important
que nous ne disparaissions pas pendant la campagne. Il est nécessaire que
nos revendications soient portées inlassablement auprès des électrices et
électeurs, des médias et des partis politiques, en plus, bien entendu, de
la base étudiante qui fait vivre la grève.
Que toutes et touts sachent que la crise ne sera pas réglée par une
élection. En ce sens, la CLASSE, coalition de grève, doit appeler au
maintien et à l’élargissement de la grève, tant dans les institutions
d’enseignement que dans la société civile dans son ensemble.
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Faire le lien avec la crise sociale et les élections*
En effet, il est capital que cet appel à l’élargissement ne tombe pas
lettre morte. Depuis le début de la campagne électorale il est très clair qu
*’aucun des partis politiques ne souhaite aborder la question de la crise
sociale que nous avons traversé à l’hiver et au printemps*. Dehors les
beaux concepts de ‘printemps érable’, la question n’est plus à l’ordre du
jour. Cela serait trop dangereux pour tous ces partis : parler de
néolibéralisme pourrait réveiller les gens et les éloigner du vote
traditionnel des vieux partis de droite.
Pourtant face à un tel soulèvement populaire, comment faire en sorte que
celui-ci ne soit pas évacué des élections?
La CLASSE, comme d’autres organisations, a un rôle à jouer dans la
canalisation de ces messages plus larges. Du fait que nous bénéficions de
l’attention d’une bonne partie de la population comme étant un acteur
politique de taille au Québec, *nous nous devons de redynamiser le lien
entre campagne électorale et mouvement de contestation plus large.
*
Seule une telle approche permet l’élargissement de la lutte et de la
contestation dans la société civile. *Nous ne devons pas abandonner l’idée
que les droits de scolarité ne sont qu’une pointe de l’iceberg néolibéral*.
Si les conférences ont été un aspect intéressant de l’élargissement, leur
impact ne reste que trop limité. La question doit être abordée de front
dans la campagne, par la CLASSE en tant qu’acteur politique de premier
ordre.
*Quels types d’actions à mener dans un contexte particulier?*
Ainsi, si nous désirons continuer à mener notre lutte, il ne faut toutefois
pas négliger les paramètres d’une campagne électorale où tout semble
exacerbé et un facteur de clivage et de tension.
Nous entendons déjà presque sur toutes les tribunes que les actions
radicales vont aider le PLQ à se faire réélire. Si cela est peut-être en
partie vrai, il faut toutefois nuancer le propos. Les actions radicales et
économiques dans le cadre d’une campagne doivent être maintenues, *mais
surtout faire l’objet d’une réflexion sur les cibles et sur les intérêts à
viser.*
En période de campagne électorale, ce n’est pas l’État qui devient la cible
mais le parti qui tente à tout prix de se faire réélire. Ainsi, *la
construction et le maintien du rapport de force se transfèrent de la
machine étatique vers la machine partisane*. Cela vient altérer
profondément le mode d’action que nous avions employé jusqu’alors.
En effet, si une majorité de la population n’attend que la chute des
libéraux, une bonne partie de cette même population ne voit pas
nécessairement d’un bon oeil des actions de perturbation économique. Si
cela pose moyennement de problèmes en tant ‘normal’ de grève, lors d’une
campagne, cette situation se trouve exacerbée par le focus médiatique et
politique qui est donné aux acteurs politiques, à leurs discours et à leurs
actes. Ainsi, en présence du transfert de la pression de l’État vers les
partis et en situation de campagne électorale, il est peut-être intéressant
de réfléchir à une stratégie différente :
A. S’attaquer au parti libéral serait probablement bien accepté au niveau
de la population et du déroulement de la campagne. Le PLQ jouerait de façon
limitée seulement la carte de la loi et l’ordre, puisque son capital de
sympathie est plus que bas.
B. Par contre, si nous maintenons notre attention sur des cibles
économiques, il y à fort à parier que le PLQ va ‘surfer’ sur la vague du
rétablissement de l’ordre et de la paix sociale, avec succès puisque ces
actions sont difficilement acceptées par la population.
Ainsi, il semble nécessaire de se questionner sur la teneur de nos actions,
et surtout, principalement, sur les cibles que nous désirons viser.
*Le point de rupture va être fin août*
Avec la non-rentrée des cégeps et des universités, il y a fort à parier que
le PLQ a déjà préparé ses discours sur la loi et l’ordre et sur la
nécessité de ne pas transiger avec des organisations qui ne respectent pas
le droit individuel d’étudier ni les lois votées par le Parlement.
En fait, il y a probablement peu à craindre de l’application d’une loi dans
une période où le parlement est dissout. Mais il faut tout de même se
méfier de l’utilisation du thème de la paix sociale et l’ordre dans la
campagne. Si nous agissons sans délicatesse, le PLQ sera à même de profiter
de nos actions pour gagner en capital électoraliste.
Un des tests majeurs risque d’être la façon dont la rentrée pourra se
passer ou non. Encore une fois, plusieurs possibilités s’offrent à nous :
A. Si majoritairement les associations étudiantes reconduisent la grève
sans troubles et arrivent à faire respecter leurs mandats, le PLQ n’aura
que peu à dire.
B. Si par contre, nous assistons à des scènes dignes du cégep Lionel Groulx
ou de Victoriaville, le PLQ aura alors toute la latitude pour jouer la
carte de la loi et l’ordre, carte face à laquelle nous avons
systématiquement perdu jusqu’à maintenant. Carte terriblement dangereuse en
campagne électorale.
Le rayon de soleil qui pourrait venir donner espoir est actuellement la
réaction des professeur-e-s d’universités et de cégeps qui affirment
vouloir respecter les mandats de grève. Cela pourrait venir nous aider dans
la gestion de cette crise prévisible.
En prévision de ces événements, il est indispensable que les mandats de
grève passent fortement et que les communautés universitaires soient
mobilisées au maximum autour du respect des mandats adoptés et de la
solidarité avec les associations étudiantes.
*De la poursuite de la grève après le 4 septembre*
Enfin, autre question épineuse, que l’on veuille ou non, *une campagne
électorale est un processus charnière dans le fonctionnement des systèmes
parlementaires libéraux occidentaux*. Processus, qui aux yeux de l’immense
majorité de la population, même cynique et désabusée, reste un moment où
les idées s’entrechoquent et* après lequel un vainqueur est désigné avec un
haut capital de légitimité.*
Ce qui nous mène nécessairement à la question de la poursuite de la grève
après les élections.
Plusieurs cas théoriques se posent pour aborder cette question, nous
n’aborderons que les trois principaux :
A. Le PQ est élu majoritaire
B. Le PQ est élu minoritaire
C. Le PLQ est réélu avec ou sans la CAQ
*Dans les deux premiers cas (A et B), la poursuite de la grève est
indispensable*. En effet, dans la mesure où le PQ aura fait campagne sur le
gel et la tenue d’états généraux, en plus de la suspension de la loi 12, il
est nécessaire de maintenir une pression importante sur ce parti afin *que
les promesses électorales se traduisent au maximum en gestes* (même s’il
est bien évident que l’on ne peut pas avoir confiance dans le PQ). On
parlera ici de quelques semaines de grève.
Le cas B vient toutefois poser un épineux problème pour le PQ. Difficile en
effet de savoir si celui-ci serait prêt à se faire renverser par
l’opposition sur la seule question des frais de scolarité. La suspension de
la loi 12 semble, elle, acquise chez bien des députés, même du PLQ et de la
CAQ, et ne posera sûrement pas le même problème. Par contre, la hausse des
droits serait un pari risqué pour le PQ qui pourrait se voir renversé et
forcé de redéclencher une campagne électorale après avoir perdu la
confiance du Parlement.
Enfin, autre hypothèse moins probable mais tout de même intéressante : l*e
recours à une grève offensive, dont une grève sociale, *contre les mesures
régressives et néolibérales mises en place par le PLQ. Dans une telle
situation, il y aurait éventuellement matière à profiter de l’indécision du
PQ afin de tirer des avantages de la situation et le forcer à supprimer des
mesures régressives adoptées ces dernières années. Il y aurait également
fort à parier que la population serait derrière nous dans une telle grève
si nous sommes à même de construire un argumentaire suffisamment solide.
Dans les deux premiers cas, le maintien de la grève est une nécessité afin
de s’assurer de la concrétisation de nos revendications.
Le cas C est clairement le pire scénario possible pour notre mouvement. Si
jamais le PLQ venait à être réélu, notamment à cause des distorsions liées
au mode de scrutin, nous serions alors placé-e-s devant un problème plus
grand que tous ceux que nous avons pu affronter jusqu’alors.
En effet, dans la mesure où le PLQ serait élu de façon légitime, au regard
du processus électoral institué, il serait difficile de venir contester son
gouvernement et son ‘bon droit’ à décider. La grève aurait alors toutes les
chances de tomber puisque la population aurait, après tout, fait son choix.
Non pas que nous soyons d’accord avec ce processus, mais il s’agit après
tout ici d’une analyse et non d’un traité idéologique.
Cette optique est difficile à accepter mais traduit dans les faits *l’absence
de campagne antiparlementaire que la CLASSE aurait dû mener depuis des
semaines, voire des mois*. En l’absence d’une telle critique organisée et
cohérente de la superstructure parlementaire qui sert au mode de production
capitaliste, il est difficile, sinon impossible, d’espérer que la
population saisisse immédiatement après le 4 septembre la nécessité de
dépasser l’édifice parlementaire tel que nous le connaissons.
Cette incapacité à dépasser le parlementarisme par la lutte que nous avons
mené est sur les lèvres depuis déjà des mois et n’a toujours pas trouvé de
réponse satisfaisante ou efficace. En l’absence de campagne de
déligitimation du système, il est doublement difficile de penser que nous
serons à même de critiquer efficacement les résultats d’une élection et
encore moins de rallier la majorité de la population à notre analyse (qui
quand bien même serait avec nous n’aurait quand même pas de moyens de
forcer la tenue d’autres élections avec un mode de scrutin réformé).
*Éviter à tout prix la réelection du PLQ
*
Dans tous les cas, il parait absolument nécessaire de ne pas favoriser la
réélection du PLQ. Nous ne traiterons pas ici du choix de voter ou non,
cette question relève du bon jugement de chacun-e et ne concerne finalement
pas vraiment la grève.
Mais il semble clair que d’ici au 4 septembre, la seule façon de maintenir
la pression est la poursuite de la grève afin de faire tomber le PLQ sur
son propre terrain. Cette grève doit être adaptée aux réalités d’une
campagne afin de ne pas faire d’erreurs qui pourraient mener à la
réelection du PLQ.
Ensemble, bloquons la hausse, le PLQ et plus tard, le système parlementaire.
PS : en annexe, quelques autres pistes de réflexions :
Nous n’avons pas parlé :
- D’une application stricte de la loi 12 qui viendrait mettre à terre
les associations étudiantes;
- De la possibilité que certains votes de grève soient très serrés;
- Du comportement pour le moment nébuleux des fédérations face à la
grève;
- De la possibilité que le PQ revienne sur ses engagements;
- De la mort potentiellement nécessaire et acceptable de l’ASSÉ comme
organisation nationale;
- De l’obstruction des syndicats nationaux à la grève sociale;
- Des calls débiles de Léo.
--
Samuel Ragot
Secrétaire général
Association facultaire étudiante de science politique et droit
Représentant étudiant au Conseil d'administration
Université du Québec à Montréal (UQAM)
Téléphone: 514.987.3000 #2632
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