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Le Devoir
PERSPECTIVES, samedi 10 avril 2004, p. b1
Financement des universités
De l'espoir à la déception
Le budget Séguin est venu refroidir les attentes des recteurs créées en
commission parlementaire
Chouinard, Marie-Andrée
Fin du troisième acte. Le rideau est finalement tombé cette semaine sur
la commission parlementaire qui a trituré pendant près de deux mois
l'avenir de nos universités, qui se disent en péril. La mise en scène
les avait remplies d'espoir, mais un coup de théâtre nommé budget,
survenu en plein coeur de l'événement avec peu de réponses financières à
des demandes de 375 millions, donne lieu à quelques mauvaises
critiques... Toute cette orchestration aura-t-elle été vaine?
Pauline Marois, députée péquiste de Taillon qui porte le chapeau de
critique en matière d'éducation, l'avait noté en début de commission
parlementaire, à la mi-février. Toute cette opération, si charmante
fût-elle, ne trouverait-elle pas sa «clé» dans le budget du ministre
Yves Séguin? Fin mars, les clés de ce montage financier ont ouvert aux
universités une partie des réponses: sur les 375 millions demandés pour
concurrencer les universités canadiennes, le retour d'ascenseur est bien
maigre.
«J'invite le ministre à faire en sorte que cette commission n'ait pas
été vaine», poursuivait la députée Marois dans ses remarques finales,
jeudi, dernier jour de la commission parlementaire. «Si l'éducation est
une priorité pour le gouvernement, la démonstration reste encore à faire.»
Pendant 19 jours et 84 heures, les députés membres de cette commission
de l'éducation auront entendu quelque 80 groupes différents, tous liés
de très près ou d'un peu plus loin à l'avenir des universités. «Un
exercice éclairant et stimulant», au dire du ministre de l'Éducation,
Pierre Reid, qui n'a pas manqué une minute de ces débats. «Il s'est
vraiment passé quelque chose ici au cours des dernières semaines», a
poursuivi jeudi midi le ministre, appelé à formuler ses impressions
finales sur l'ensemble de l'opération, qualifiant de fait «à valeur
historique» la seule existence de cette commission.
Mais suffira-t-il au ministre de se gargariser du seul fait d'avoir
réuni tous les acteurs du monde universitaire autour d'une commission
pour être le centre d'une salve d'applaudissements? Au lendemain du
budget du ministre des Finances, Yves Séguin, les universités - qui ont
toutes défilé devant la commission avant le budget, précisons-le -
n'avaient plus le coeur à rire.
«Nous sommes déçus», affirmait M. Lacroix quelques instants après le
discours du budget, parlant à titre de président de la Conférence des
recteurs et principaux d'université du Québec (CREPUQ). «Déçus et
mécontents.» La CREPUQ, qui n'a pas la fougue de la Fédération étudiante
universitaire du Québec (FEUQ) et qui a toujours en réserve quelques
paires de gants blancs à enfiler avant d'oser affirmer sa colère, veut
alors peut-être dire, lorsqu'elle prononce les mots déception et
mécontentement, qu'elle est ravagée par les miettes que lui laisse le
dernier budget? Et courroucée par les réponses du gouvernement à ses
nombreuses demandes?
Pas d'argent neuf
Voyons ces miettes. Sur une galette de 307 millions de plus que l'an
dernier octroyés à l'éducation, le gouvernement a consenti 125,7
millions de plus aux universités, une hausse de 6,3 % de leurs crédits.
De généreuses miettes, diront peut-être certains. Une analyse attentive
de la distribution de cette enveloppe permet de constater que le
réinvestissement réel - de l'argent neuf destiné à développer et à
ajouter des services - n'est pas pour cette année.
Car l'engouement pour les universités, qui composent avec des
augmentations de clientèle depuis les dernières années, ne s'est pas
démenti cette année non plus. Et la majeure partie de l'enveloppe de 125
millions d'augmentation aux universités - certains parlent de plus de 80
millions - sert exactement à financer ces variations de clientèle à 100
%, «ce qui n'a pas été une mince affaire», affirmait le ministre le jour
du budget, admettant du coup que ces sommes ne venaient pas résoudre les
problèmes de financement soulignés à grands traits rouges par les
universités tout au long de la commission.
Quand on sait qu'une autre trentaine de millions servent à éponger les
coûts de système des universités, on comprend bien les jeux de
calculette décevants qu'ont faits les recteurs.
«C'est une grande déception, la majeure partie de cette somme passe aux
augmentations de clientèle», commentait Robert Lacroix le soir du
budget, sans emportement. «La commission parlementaire avait créé de
telles attentes. Espérons que le premier ministre Jean Charest sera en
mesure de dégager une marge de manoeuvre pour les universités cette
année... »
Furieux - à la manière CREPUQ - à cause de ces 120 millions consentis
par le budget, les recteurs auraient, paraît-il, profondément indisposé
à leur tour le ministre de l'Éducation, qui attendait plutôt quelques
chaleureux remerciements. Pourquoi? Revenons un brin en arrière, avant
le budget, qui a cassé le rythme de la commission et refroidi quelques
ardeurs.
Une suggestion...
25 février dernier. En fin d'après-midi d'une journée au programme
chargé, Robert Lacroix étonne un peu tout le monde en proposant à la
commission - à titre individuel, le seul qui ait eu ce loisir - une
solution de trois pages aux maux financiers des universités. Échelonnée
sur trois ans, la recette tenait sur un habile amalgame de hausse et
d'indexation des droits de scolarité, additionné d'un réinvestissement
accru de la part du gouvernement. Pour l'année 2003-04, M. Lacroix
proposait une indexation des droits de scolarité à hauteur de 60
millions en plus d'une hausse du financement public de 60 millions, pour
un joyeux total de... 120 millions.
«L'an prochain, moi, je pense que les universités peuvent absorber de
façon efficace 120 millions de plus dans leurs budgets», affirmait le
recteur. Après avoir réclamé pendant des mois 375 millions pour soulager
les universités, le recteur ajoutait: «Si on en mettait 300 millions
d'un coup, j'ai comme l'impression qu'il y aurait un peu de problèmes
d'engorgement.»
Certains ont sursauté devant cette affirmation, pour le moins étonnante.
Interrogé par Le Devoir à ce sujet au moment du budget fédéral, Robert
Lacroix s'explique: «On a reçu 300 millions sur trois ans la dernière
fois et c'était un rythme tout à fait gérable. S'ils nous donnaient
l'argent, bien sûr qu'on trouverait les moyens de l'utiliser, mais vous
voyez bien qu'ils n'ont pas cette capacité. [...] Il faut permettre à un
gouvernement de trouver une façon de s'en sortir. Moi, je préférais lui
dire: voici une façon intelligente de s'en sortir.»
Une semaine plus tard, le ministre Pierre Reid annonçait les 126
millions et confirmait la diminution de l'aide financière à hauteur
de... 63 millions, ce qui correspond tout à fait à la suggestion que lui
glissait le recteur de l'UdeM en guise de montant à tirer de la poche
des étudiants.
Si la CREPUQ s'est dite déçue et étonnée, la Fédération étudiante
universitaire du Québec (FEUQ), elle, n'a pas mâché ses mots pour
décrire sa colère face à cet aval à l'endettement étudiant auquel Pierre
Reid a souscrit, le reconnaissant lui-même sans ambages en conférence de
presse la semaine dernière. «Le ministre ne sait même pas de quoi il
parle avec ses 63 millions», affirmait cette semaine le tout nouveau
président de la FEUQ, Pier-André Bouchard St-Amant. «Le gars a un
doctorat en maths, pourtant c'est pas compliqué, il n'arrive pas à faire
une simple règle de trois.»
Interpellant jeudi le ministre en pleine conférence de presse, M.
Bouchard St-Amand s'est d'ailleurs montré sceptique par rapport au forum
sur les cégeps, que M. Reid venait tout juste d'annoncer. «C'est bien
beau les consultations que vous êtes en train de tenir, mais on a vu les
résultats de ce que vous avez fait avec la commission parlementaire sur
les universités. Qu'est-ce que vous répondez aux 240 000 jeunes que vous
venez d'endetter?»
Les étudiants promettent en outre qu'ils joindront leurs voix à celles
des autres groupes sociaux le 14 avril prochain, histoire de manifester
leur grogne devant la façon qu'a ce gouvernement de mener le bal social.
Le ministre Pierre Reid a beau être vexé en coulisses de voir les
universités faire la fine bouche sur ses 120 millions - n'a-t-il pas
livré la marchandise? -, il convenait publiquement jeudi, au moment de
boucler la commission avec ses remarques finales, qu'il n'avait pas
donné autant que les universités le souhaitaient peut-être. «Il faut
réinvestir. Je l'affirme, même si les crédits déposés la semaine
dernière ne prévoient pas le réinvestissement souhaité, ce que je
reconnais sans ambages. Mais je ne dois pas être le seul à estimer que,
à défaut de réinvestir dès maintenant, nous investissons très
significativement dans les universités. Et je ne me défile pas pour
autant, je tiens seulement à préciser que notre commission n'a pas
encore conclu et que l'année 2004-05 est encore jeune.»
Aurait-il donc en réserve quelques dizaines de millions qu'il sortira
d'une boîte à surprise, certain de ravir là l'ensemble de la communauté?
«Je n'en ai pas la moindre idée», explique le recteur de l'Université du
Québec à Montréal (UQAM), qui se désole de l'attentisme de plusieurs
face aux millions qui pourraient dormir à Ottawa. «La santé la mène, son
offensive! Pourquoi pas l'éducation? Je ne peux pas croire que nous ne
profiterons pas de tous les moyens dont nous disposons pour aller
réclamer une partie de cet argent qui nous revient.»
Avec cette commission, les universités auront réussi à tout le moins à
occuper l'avant-scène médiatique, poussant de nombreux médias à octroyer
une large vitrine aux universités, peu abonnées aux manchettes. Après
celles-ci, voilà que les cégeps passeront à cet exercice de remise en
forme, qui se fera à travers un cyberforum plutôt que par l'entremise
d'une commission parlementaire.
Ces opérations alimentent le débat social. Elles jouent un rôle
d'éducation et permettent des mises au point. Mais sont-elles caduques
lorsqu'elles donnent l'impression - traficotées par les semonces d'un
budget - que les dés sont déjà jetés? «Avant ou après le budget, peu
importe le moment où est survenue la commission parlementaire, nous
avons fait ce que nous devions, c'est-à-dire démontrer l'importance du
sous-financement des universités et ses effets pervers», explique Roch
Denis. «Et je continue à espérer, à croire que le gouvernement va se
mettre à l'ouvrage pour redresser nos bases de financement.»
Illustration(s) :
Grenier, Jacques
Au lendemain du budget du ministre des Finances, Yves Séguin, les
universités n'avaient plus le coeur à rire. McGill comme les autres
universités aimerait un hausse de son financement.
Catégorie : Actualités
Sujet(s) uniforme(s) : Enseignement supérieur; Subventions et aide
gouvernementale
Type(s) d'article : Article
Taille : Long, 1269 mots
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Doc. : news·20040410·LE·51978
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