Camarades,
Au vu du dépôt de ma candidature en avril dernier pour un deuxième mandat
au sein de l’exécutif de l’ASSÉ, ma démission actuelle peut apparaître
surprenante. En effet, peu de temps s’est écoulé depuis. Pourtant, alors
que début avril, je me sentais encore de l’énergie et de l’envie de
continuer à m’impliquer dans l’exécutif de l’ASSÉ, ce n’est plus le cas
aujourd’hui. Ma fin de session a été extrêmement difficile et j’ai pris
conscience de mon épuisement psychologique et physique. À cela, se sont
ajoutées des angoisses liées à ma situation financière compliquée et à ma
scolarité malmenée cette année. Je m’étais dit que je prendrais l’été pour
me reposer, mais au vu de ce qui m’attends à la rentrée, je n’aurais de
toute façon plus les moyens matériels de m’impliquer à nouveau dans
l’exécutif de l’ASSÉ.
Même s’il y a eu des moments difficiles, j’ai été très fière de défendre
les positions de l’ASSÉ durant cette année. Comme je l’ai écrit dans ma
lettre de candidature en avril, parmi les organisations étudiantes
existantes, seule l’ASSÉ défend une véritable conception de l’éducation,
une conception qui ne se limite pas à des demandes pécuniaires mais qui
remet en cause la voie marchande que prend l’éducation, une conception qui
s’attache à en défendre le caractère public et son importance en tant que
bien collectif pour l’avenir de notre société. Seule l’ASSÉ inscrit sa
lutte pour l’éducation dans une perspective plus large qui est celle d’une
remise en cause des politiques néolibérales mises en place dans l’ensemble
des services publics à travers, entre autre, l’implantation du principe
utilisateur-payeur. Et je souhaite ardemment qu’elle continue à faire de
même dans l’avenir.
Néanmoins, je me permettrais ici de lancer quelques réflexions critiques
faisant suite à mon expérience:
Si au sein de l’ASSÉ, la critique interne est très présente, elle a cette
tendance forte à souvent aller dans un seul sens, l’autre flanc critique
étant dès l’abord mis de côté, étant dès l’abord considéré comme non
pertinent. Ainsi, on en arrive au paradoxe que tout en accentuant sur
l’importance de l’inclusivité et de la consultation des membres, certaines
positions sont rejetées sans même qu’on prenne le temps d’en débattre.
L’argument souvent invoqué pour mettre de côté ces positions est celui de
la tradition et des positions historiques de l’ASSÉ. Or, si la prise en
compte des positions historiques de l’ASSÉ est importante, à se fier
uniquement sur ces positions passées, il y a pourtant un risque qui est
celui de la perte de véritables débats réflexifs et politiques au sein des
associations membres, puis en Congrès. De fait, à quoi bon faire des
Congrès s’il s’agit uniquement de suivre les positions historiques de
l’ASSÉ? L’exécutif aurait en effet simplement à consulter les positions
passées, puis à annoncer ensuite la position actuelle de l’ASSÉ au vu de
celles-ci et ce, sans qu’aucune consultation des membres n’ait eu lieu. En
somme, le principe de démocratie directe n’aurait plus de contenu puisque
tout serait déjà joué à l’avance.
Cet appel à la tradition a, en autre, été présent cette année durant la
question de la participation ou non de l’ASSÉ au sommet sur l’enseignement
supérieur : à plusieurs reprises, j’ai entendu l’argument selon lequel
« puisque l’ASSÉ n’avait jamais participé à des instances de concertation,
alors elle ne devait pas participer au sommet », c’était la logique des
choses, point final.
Cet argument d’autorité a finalement conduit à une situation où aucun texte
de réflexion n’a été produit sur la question de la participation au sommet,
alors même qu’au sein des associations membres la situation n’était pas si
homogène. Le débat n’a pas eu lieu et on s’est retrouvé avec un Congrès qui
a débouché dans un premier temps sur un 23/23 ou quelque chose de
semblable.
Ainsi, alors que, d’une part, des interrogations auraient pu être soulevées
quant à la présupposée perte de pureté de l’ASSÉ si elle participait au
sommet (si l’ASSÉ avait participé au sommet en y défendant ses positions et
en critiquant son déroulement, en serait-elle ressortie moins forte?
Aurait-elle perdu sa force de mobilisation? Au vu des votes de grève perdus
dans plusieurs cégeps suite à l’annonce du boycott, il semble bien au
contraire que non) et que, d’autre part, une réflexion sur l’impact de la
non-participation quant à la suite des travaux du sommet aurait pu être
produite, rien de tout cela n’a eu lieu. L’ASSÉ n’a ainsi été invitée à
participer à aucun des chantiers ayant fait suite au sommet et ne peut
avoir connaissance de leur déroulement et de leur orientation. Loin de moi
l’idée de dire que des « gains » vont sortir de ces chantiers. Simplement,
ces chantiers concernent des domaines importants de l’avenir du système
d’éducation québécois et l’ASSÉ n’a actuellement aucune prise critique
dessus. Qu’est-ce qui va sortir par exemple du chantier sur le futur
conseil des universités? Ainsi, s’il est difficile de voir ce que le
boycott du sommet a apporté en terme de mobilisation, on peut s’interroger
en revanche sur ses conséquences en terme de perte de contrôle critique sur
les décisions prises derrière les portes closes du ministère quant à
l’avenir de notre éducation.
Pour ma part, un de mes plus importants regrets est justement de ne pas
avoir produit de texte de réflexion à ce sujet, de ne pas avoir « osé » si
je puis dire affronter la critique pour lancer le débat sur la
participation. C’est d’ailleurs me semble-t-il, un des risques à l’avenir
dans l’ASSÉ : que les membres n’osent plus prendre des positions critiques
hors de ce qui est perçu comme la « bonne ligne » par peur d’être étiquetés
comme « traitres » ou « carriéristes ». Que les membres n'osent plus
confronter des positions politiques à travers des textes de réflexion.
Entendons-nous, il ne s’agit pas d’appeler à piler sur les anciennes
positions de l’ASSÉ mais à maintenir la discussion et le débat à leurs
égards (qu’est-ce que le syndicalisme de combat en temps de non-grève par
exemple?). Il est d’ailleurs intéressant de relever, qu’en Congrès, les
délégué-e-s qui ont des mandats différents de la ligne dite « radicale »
osent souvent moins dans un premier temps aller les défendre au micro.
Comme quoi, les rapports de domination ne sont pas toujours là où on les
dénonce le plus souvent.
Loin de moi ici l’idée de « déconstruire » l’ASSÉ. Au contraire, c’est
parce que j’aime profondément l’ASSÉ que je livre ces réflexions. Lorsque
j’ai assisté à mes premiers Congrès de la CLASSE, j’ai été impressionnée
par la qualité des interventions et des débats politiques qui avaient lieu
en Congrès. J’aimerais que cela continue.
Enfin, je souhaite bonne chance et bon courage au nouvel exécutif actuel.
J’espère néanmoins que de nouvelles candidatures viendront s’ajouter cet
été afin de les aider.
Solidairement,
Blandine Parchemal.