Par ailleurs, une excellente critique du livre vient de paraître sur le site
jesuisfeministe:
http://www.jesuisfeministe.com/?p=6500
QUAND LE SPECTACLE SE POURSUIT EN COULISSE…
Il y a deux Histoires l’Histoire officielle,
menteuse, qu’on enseigne, puis l’Histoire secrète, où sont les
véritables causes des évènements, une Histoire honteuse. (Illusions perdues – Honoré de
Balzac)
Après avoir lutté pendant des mois contre le déséquilibre de la
répartition sociale du capital économique, force est de constater que la
lutte doit désormais également se poursuivre sur le terrain des autres
formes de capitaux : symbolique, culturel, politique. Nous en sommes à
l’heure d’écrire l’Histoire en fondant la légitimité des récits qui se
bousculent déjà, gentiment, bien sûr, dans une librairie près de chez
vous. Ou encore au Lion d’Or, lieu du lancement De l’école à la rue : dans les coulisses
de la grève étudiante,
un ouvrage co-écrit par Philippe Éthier et Renaud Poirier-Saint-Pierre,
respectivement élu sur le conseil exécutif de l’ASSÉ-CLASSE, et attaché
de presse au comité média de cette dernière.
Comment ont-ils fait?
Selon ses auteurs, l’objectif du livre, dont nous célébrons aujourd’hui la naissance,
serait de dégager
les différentes pratiques mises de l’avant lors de la grève de telle
sorte qu’elles puissent guider les générations futures. Ont
volontairement été évacués les différents débats et conflits internes
pour produire le récit le plus consensuel possible. S’imagine-t-on
vraiment que ce dont les dites générations futures ont besoin, c’est
d’un paquet de généralités, d’une chronologie factuelle des événements
et de leur organisation technique? Pour éviter de répéter les mêmes
erreurs et pour permettre une politisation solide, il est, au contraire,
essentiel d’afficher les contradictions, les impasses et les conflits
internes qui ont marqués la grève.
Mais ce mutisme volontaire n’est pas une première. À l’intérieur du
mouvement de grève (avant, pendant et après celle-ci), les retours
critiques ont été majoritairement dévalorisés. C’est alors que cette
production « consensuelle » est dérangeante puisqu’elle est bâtie sur
l’occultation des débats d’idées entre tendances politiques, devenus si
difficiles et dérangeants. Des différentes perspectives que nous avons
occupées durant la grève de 2012, il est impossible d’avancer un
consensus autour des mécanismes qui ont bien fonctionné pour bâtir une
mobilisation de masse et une structure qui la supporte et l’alimente.
L’ensemble de réflexions et d’analyses concernant les pratiques
politiques de la CLASSE que présentent les auteurs, à partir de leur
posture spécifique dans le mouvement, n’est pas neutre. Elle résulte
d’une sélection opérée qui retient et ficelle une très mince parcelle de
la réalité : celle des vainqueurs qui publient et privatisent
aujourd’hui leur bilan de grève, chez Éco-société.
La violence d’une histoire « consensuelle »
En faisant silence sur la pluralité des réalités politiques, sur les
souffrances vécues et sur les stratégies de répression interne envers
différentes franges politiques, les auteurs nourrissent et encouragent
la propagation des pratiques a-critiques au sein du mouvement. Taire les
initiatives pour transformer les rapports sociaux (de sexe, de classe,
de race) de l’histoire est une posture fondamentalement violente.
Une page seulement de ce livre est consacrée aux principes féministes
de l’ASSÉ-CLASSE, page qui n’a guère le temps d’aborder les démissions
en bloc largement documentées de deux comités dont le principal motif
était la reproduction de rapports de pouvoir. Le livre ne nous apprend
pas pourquoi à la seule manifestation féministe de la CLASSE presque
tout le monde s’est fait arrêter. On n’apprend pas non plus comment
Phillipe Éthier et Gabriel Nadeau-Dubois ont demandé à une membre d’un
comité de la CLASSE de démissionner et de camoufler son implication
lorsqu’elle fit face à des charges criminelles. Ne sont pas présentées
non plus les critiques féministes qui ont été adressées à leur équipe
exécutive. À vrai dire, la section « féminisme » est si consensuelle
qu’elle n’a presque plus rien à voir avec les expériences des militantes
féministes de la grève. Pourtant ce sont entre autres leurs initiatives
qui ont permis de faire vivre la grève, de mobiliser des gens, de
s’organiser, de faire en sorte de la rendre plus inclusive. Elles sont
parties prenantes des coulisses de la grève, des coulisses où ça jouait
parfois rough entre militant-es.
Bref, les auteurs ont lutté de leur côté, du haut de la pyramide
qu’ils ont construit. Ce ne sont pas seulement des désaccords tactiques
que nous entretenons avec eux, mais plutôt des tensions profondes entre
deux modes de luttes différents. Mais peut-on vraiment être surprises
qu’une Histoire des femmes écrite par des hommes sonne encore tout
croche? Nous ne sommes pas les premières à le dire: l’Histoire
consensuelle est une histoire violente de privilégiés, où les voix
discordantes n’ont pas leur place.
« C’est un beau roman, c’est une belle histoire… »
L’absence dans l’ouvrage d’une culture de la responsabilité et de
retours politiques critiques sur les pratiques et les objectifs a comme
conséquence de participer à la mythification des auteurs. Autour de
leurs héroïques personnes est construit une aura de puissance
individuelle devenue le gage nécessaire à la capacité à agir
politiquement sur le monde. Les nombreuses scènes romancées de l’ouvrage
(comme celle où les valeureux guerriers de la CLASSE, armés de leurs
walkie-talkie-crssh-crssh se retrouvent malgré eux dans une angoissante
mais ô combien grisante course contre la montre pour fournir avant le
SPVM le nombre de manifestant-es aux médias) participent d’ailleurs
largement de cette représentation déphasée des acteurs. Développer une
lecture de son implication dans la grève comme faisant profondément et
structurellement partie du problème semble donc être perçu comme
incompatible avec l’héroïsation de l’engagement politique progressiste :
on ne pourrait pas à la fois faire partie du problème et vouloir
contribuer à sa résolution. Quand on déplace ainsi la problématique vers
les pratiques politiques et leurs conséquences sur la vie des autres,
on nous accuse de contribuer à une dépolitisation issue d’une culture
chrétienne de la culpabilité. Ou bien, encore mieux parce que tellement
poignant, on se fait taxer d’intolérance politique. Si les
interrogations et les critiques des féministes, entre autres basées sur
l’idée que le privé est politique, constituent de l’intolérance politique
et bloquent ce sentiment moral d’intégrité et d’authenticité que
certains militants ressentent, eh bien soit. On pense vraiment que c’est
un minimum si on veut transformer les rapports sociaux.
« La CLASSE perturbe littéralement l’ordre naturel des choses » (Le livre en question)
Ce n’est pas tout le monde qui peut produire un livre comme celui-ci.
Il faut non seulement avoir des contacts et les ressources nécessaires,
mais il faut être capable de se libérer du temps. Que deux membres
masculins et blancs élus dans les structures de l’ASSÉ puissent se
permettre de soumettre un manuscrit lavé de ces conflits n’est pas un
hasard. Leur position privilégiée leur permet d’écrire sur la grève en
s’autoproclamant spécialistes et en s’appropriant les techniques
d’organisation de cette grève qui se base autant sur la mémoire et les
pratiques de générations de militant-es que sur les expériences
d’auto-organisation variées. Par la diffusion de leur vision de
l’histoire comme étant consensuelle et homogène, les auteurs se placent
au-dessus de tous les militant-es qui sont des acteurs et des actrices à
part entière du mouvement, et qui n’ont pas le loisir d’écrire un livre
qui raconte leur vision de l’histoire selon leur place tout aussi
intéressante dans la grève. Derrière l’idée consensuelle de ce livre, ce
sont les voix et la légitimité de toutes ces personnes qui sont
écrasées par l’aplanissement d’un dissensus vital à toute manifestation
politique qui se veut vivante.
Dans cette dynamique, il n’y a que les auteurs qui gagnent; qui
gagnent de la notoriété, du capital symbolique, et l’imposition de leur
vision à travers le temps (et accessoirement puisqu’ils vendent leur
livre). L’Histoire qui se fige dans le temps et l’espace est
complètement uniformisée pour que tout ce qui a été vécu puisse entrer
dans les cases bien délimitées que les auteurs nous imposent. N’oublions
pas que les choix de contenu de ce genre de livre ont un impact sur ce
qu’on retiendra de l’histoire de cette grève. Il nous apparaît donc
primordial de faire ressortir toute la problématique de la
différenciation entre le traitement qu’on fait à un livre qui présente
des analyses consensuelles et aux écrits qui présentent des analyses
conflictuelles. En effet, il existe de nombreuses productions qui
s’avancent sur le thème des conflits à l’intérieur même de
l’ASSÉ-CLASSE, mais elles n’auront jamais droit à la diffusion ou au
respect dont ce livre jouit. La diffusion même d’écrits à partir d’une
vision féministe critique du fonctionnement de l’ASSÉ-CLASSE a été dans
les dernières années un enjeu de pouvoir important. D’ailleurs, il est
intéressant de noter que la vision uniforme De l’école à la rue
détonne violemment d’avec ce qui a été réfléchi dans les bilans
produits par une diversité de militant-es, en vue du congrès
d’orientation de l’ASSÉ 2013, :
http://orientation.bloquonslahausse.com/. Ainsi, leur
recette magique présentée pour réussir un mouvement large, est un modèle bleaché,
essoré, séché, complètement vidé de son contexte pluriel et des
dynamiques de pouvoir qui existaient au sein du mouvement étudiant.
De l’image de la grève à la grève de l’image
Cette formule a commencé à circuler pendant la grève sur la bouche de
ceux et celles qui ont réalisé rapidement, avec amertume et colère, que
la CLASSE perdait pied et succombait aux petits chefs dans les
coulisses. À l’époque, les spotlights étaient sur Gabriel Nadeau-Dubois,
mais plusieurs dénonçaient déjà les discours écrits par d’autres du
grand comédien du spectacle de la grève. Aujourd’hui, les caméras se
tournent vers les coulisses et filment en gros plan les insolentes
ficelles qui pendent encore juste au-dessus des chemises propres mais
froissées de ce cher GND.
Par cette critique, nous refusons une vision homogène de l’Histoire
et des rouages des évènements. Ce privilège de production littéraire ne
doit pas être celui qui sera considéré comme la vision autorisée et
neutre de la grève. Au contraire, la richesse des expériences et des
conflits internes est essentielle à une compréhension dynamique et à une
volonté d’inclusion des différentes pratiques et idées.
Passer par des canaux mainstream pour parler d’une grève
qu’on a tenté à tout prix de rendre mainstream, il n’y a rien d’étonnant
là-dedans. Qu’on ne nous prête pas de mauvaises intentions, nous ne
jouons pas la game des indigné-es. Mais on applaudit tout de même la
cohérence et on comprend la persévérance : avoir travaillé
d’arrache-pied à faire de la grève un spectacle, c’est pas maintenant
qu’il faut lâcher!
D’autres grévistes…
Camille Allard
Jeanne Bilodeau
Dominique Bordeleau
Vanessa Gauthier-Vela
Vanessa Mercier
Iraïs Landry
Fanny Lavigne
Michelle Paquette
Camille Tremblay-Fournier
Yasmine Djahnine
Julie Bruneau
---------------------------
Le site des IWW Montréal
--- On Fri, 3/22/13, Ludvic Moquin-Beaudry <ludvic(a)gmail.com> wrote:
From: Ludvic Moquin-Beaudry <ludvic(a)gmail.com>
Subject: Re: [asse-support] DE L’ÉCOLE À LA RUE : Dans les coulisses de la grève
étudiante
To: "Anne-Marie Provost" <exocortex(a)gmail.com>
Cc: "support(a)listes.asse-solidarite.qc.ca"
<support(a)listes.asse-solidarite.qc.ca>
Received: Friday, March 22, 2013, 9:52 AM
En passant, quelqu'unE a le pdf de Nous sommes ingouvernables? J'aimerais bien
mettre la main dessus.
Ludvic
Le 2013-03-21 à 21:59, Anne-Marie Provost <exocortex(a)gmail.com> a écrit :
<so_hardcore.jpg>
Le 2013-03-21 à 18:57, Etienne Simard a écrit :
Aussi disponible sur Pirate Bay:
https://thepiratebay.se/torrent/8283962/
Avec en prime, Noir Canada, accessible gratuitement depuis le
SLAPP:http://www.congoforum.be/upldocs/EBOOK%20FRan%C3%A7ais%20Noir%20Canada%20Pillage%20corruption%20et%20criminalit%C3%A9%20en%20Afrique%20Al_.pdf
étienne
From: ethierphilippe(a)gmail.com
Date: Thu, 21 Mar 2013 17:53:43 -0400
To: support(a)listes.asse-solidarite.qc.ca
Subject: Re: [asse-support] DE L’ÉCOLE À LA RUE : Dans les coulisses de la grève
étudiante
Bonjour à tous et à toutes,
Je me permets de republier ce que j'ai dit sur Facebook : « D'ici dimanche, je
prendrai le temps de répondre aux nombreuses critiques sur notre livre. Si dans de
nombreux cas il ne s'agit que de vulgaires attaques ad hominem, certaines personnes
ont formulé des critiques sur le contenu et sur notre démarche qui méritent d'être
répondues. Un des objectifs derrière ce livre est justement de favoriser un débat sur les
tactiques utilisées par le mouvement étudiant. Il est sain de critiquer et d'espérer
une réponse à cette critique. Par contre, ce débat ne peut avoir lieu à l'intérieur
d'un cadre marqué par l’arrogance et l'intolérance politique. »
Le débat sur le leak est beaucoup plus complexe qu'un débat de droit entre copyleft et
copyright. Il s'agit avant tout d'un débat d'ordre éthique. De plus, je vous
demanderais de ne pas présumer des intentions des auteurs quant à la publication de ce
livre et de leurs positions respectives dans le débat sur leurs « droits ».
Vous pouvez vous procurer le livre dans la majorité des librairies et participer au
financement d'une maison d'édition qui aide à la diffusion des idées de la gauche
(des idées libertaires au mouvement pour la décroissance). Vous allez pouvoir avoir accès
gratuitement à une version papier dans la majorité des bibliothèques ou en me contactant
directement. De plus, une version web gratuite devrait être disponible sur le site de la
BANQ.
Sur ce, bonne lecture.
__________________________________________Liste asse-support. Liste de discution de
l'Association pour une Solidarit� Syndicale �tudiante
(ASS�) support(a)listes.asse-solidarite.qc.ca__________________________________________Liste
asse-support.
Liste de discution de l'Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (ASSÉ)
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